L'incendie
Carnaval de Nantes - 1er avril 2012
Le carnaval venait de commencer, et les chars s'apprêtaient à partir, quand l'incendie s'est déclaré soudain. C'était tout près, du côté de la rue Crébillon, ou de la place Royale. Un vent rageur, sans doute envoyé par Neptune en personne, rabattait sur la foule de grands nuages âcres et sombres.
J'ai aperçu la fumée alors que je longeais le char d'Ulysse, certainement le plus beau de tous, et le plus impressionnant, avec son armée d'hoplites casqués d'or. Une immense queue de sirène terminait le cortège, battant l'air lourd et agité comme la houle. Mordant le ciel, elle avait l'air d'appeler sur la ville la tempête et la mort. Les hoplites armés de carton l'entouraient de leurs lances hérissées, tandis qu'Ulysse la défiait bravement sur son navire arrêté.
C'était étrange, au milieu de la fête un instant suspendue, de voir l'angoisse, l'incendie, le chaos et les monstres venir du fond des âges nous rappeler que toute insouciance se conquiert sur la menace, que la joie est précaire, et qu'elle n'en est que plus précieuse.
Il y a eu un moment d'hésitation. Puis le Roi a donné, de son sceptre de plastique doré, l'ordre de continuer. Ulysse et ses amis se sont lentement mis en route, et, tous, sagement, suivant la vieille loi de Carnaval, ont détourné les yeux de cette fumée noire qui piquait nos narines, pour avancer résolument vers la part de bonheur qui leur était promise, en ce jour de soleil, de musique, de folie et de danse.