Passage de toucan
Parfois, en ville, sur un mur terne, sur l'ennui d'un parking, se pose un grand toucan comme une fleur.
Il vient de loin. Il voyage avec tout le pays qui l'a vu naître. Dans son plumage il traîne les vieilles forêts ivres où rôdent les longs fleuves semés de feuilles vives. Son gros bec de balsa épingle à nos yeux morts des fleurs aux lèvres rouges, et ses serres d'obsidienne accrochent à nos épaules la laine des buissons, les ailes de l'oiseau.
Et tout, dans la ville étonnée, s'en trouve renversé.
Tout chavire et vacille et oscille et ondoie. Tous les reflets des songes glissent en serpentant à l'assaut des rues froides, et de leurs anneaux verts s'enroulent aux serrures de la réalité. Les banques et les voitures, les instituts, les ambitions, les murs de ciment âpre, la tôle des capots, submergés par l'Eden, cèdent sans rémission, s'effacent sans lutter, et bientôt disparaissent, avalés de feuillages et rongés d'orchidées.
Il est grand, le pouvoir du toucan.
Mais peu le savent.