Le fil de l'araignée
Dans le journal local, source inépuisable d'étonnement, j'ai lu qu'un savant japonais avait réussi à fabriquer des cordes de violon en fil d'araignée.
Pour réaliser les quatre cordes qu’il a confiées au luthier, il a, dit-il, "utilisé la soie de 300 araignées femelles Nephila maculata". Les instruments ainsi obtenus produisent un son "doux et profond".
J'ai imaginé ces violons que le rêve fou d'un savant avaient extraits du labyrinthe de trois cents toiles.
Araignée, ai-je pensé, audacieuse et forte araignée, chasseresse du jour, toi qui tends comme un arc la corde des saisons, toi qui jettes au printemps, flèche sûre et rapide, la branche hérissée de bourgeons.
Araignée, triste et morne araignée, fileuse de la nuit, toi qui noues en silence le ruban de tissu gluant où se prend au néant, insecte aussitôt dévoré, chaque instant de nos vies.
Tu poses sur le monde ton filet de grisaille.
Tu recueilles en ses mailles l’impalpable harmonie.
Tu cours sans balancier au-dessus des abîmes.
Tu poses dans l’air bleu des éventails de soie.
Tu bâtis sur le vide des ponts pour la rosée.
Et tu cloues comme un piège la toile du destin.
Araignée, tu es la vie, tu es la mort.
Tu es l'angoisse et la douceur.
Tu es la cendre et la beauté.
Tu es l'espoir, tu es le mal.
Tu es l’unisson de l’univers.
Araignée, que le fuseau tournoyant de ton corps
file pour moi l'accord,
que je puisse enfin les entendre,
ces notes pures qui vont sur les cordes du monde
écrire la mélodie qui donne sens à tout,
et glissent en gouttes d'eau
sur l’instrument d'un invisible musicien.