L'absence
J'ai beaucoup aimé, parmi les oeuvres exposées lors de cette nouvelle "Quinzaine photographique nantaise", la série "Growth" présentée par la photographe Wilma Hurskainen. C'est un projet tout simple en apparence : la photographe et ses trois soeurs devenues adultes ont rejoué, plusieurs années durant, les rôles que leur avait assignés leur père, sur les photos de famille de leur enfance. Puis les photos ont été montées côte à côte, la vieille photo prise par le père à gauche, et la nouvelle à droite, du côté de la page qu'il faudra bientôt tourner.
Tout l'intérêt bien sûr réside dans la somme des décalages, évidents ou subtils, qui traduisent la "croissance" et le détachement progressif des êtres emportés par le temps : l'enfant est devenue femme, le regard rêveur est devenu un regard pensif, le sourire heureux s'est un peu figé, et il faut se serrer se gêner s'écraser pour tenir encore à quatre dans l'espace où chacune autrefois trouvait si naturellement sa place.
Mais l'image qui m'a semblé la plus juste, la plus profonde, c'est celle de l'absence.
Le grand-père mort ne pouvait plus prendre place sur le canapé, comme avant... Alors elles, tout simplement, se sont assises toutes serrées près de sa forme absente. Souriantes, malicieuses et joueuses, assises sans paraître le remarquer tout contre ce grand vide qu'avait laissé le mort.
Et c'est bien ainsi, ainsi que cela se passe, toujours. Lorsque quelqu'un qu'on a aimé disparaît. On continue, et c'est comme si le mort n'était plus rien, puisque tout peut continuer. On accomplit tous les gestes qu'exige la vie, ce grand metteur en scène, et on sourit au photographe, puisqu'il faut bien jouer le jeu. Mais lorsqu'on développe la photographie, on s'aperçoit que l'absent est toujours à sa place. Qu'on s'appuie contre l'ombre disparue, qu'on se tient près de son absence comme au bord d'un vide si bien rempli de lui-même qu'il nous soutient de tout son être – mieux qu'aucune présence.