Juste à côté
Esther Gaubert, Juste à côté, éditions Fayard
La littérature n'aime guère les pauvres tels qu'ils sont. Elle adore les pauvres méritants, les pauvres tragiques, les pauvres pittoresques, les pauvres révoltés, les pauvres pathétiques. Exemplaires ou lointains. Mais de ces exclus ordinaires qui sont nos voisins, elle parle le moins possible.
Aussi le livre d'Esther Gaubert est-il une belle surprise. Car les pauvres y vivent, y parlent, y aiment, y meurent, "juste à côté". Il est vrai qu'il n'appartient peut-être pas tout à fait à ce qu'on appelle "littérature"... Car s'agit-il d'un "roman", comme l'indique la page de garde ? d'un "récit", comme l'indique la première de couverture ? ou est-ce simplement une "histoire vraie", comme le dit le bandeau touge apposé par les éditions Fayard ? Un peu de tout cela, sans doute - un livre "juste à côté", lui aussi...
Près de la maison d'Anna, la narratrice, isolée dans un hameau de Haute-Loire, s'installent un jour, dans une immense ferme froide jusque-là délaissée, des voisins qui ne passent pas inaperçus. RSA, prison, alcool, grossesses intempestives, enfants placés, séjours en HP, paquets des restos du coeur, ferrailles et vieilles guimbardes : tout signale en eux des pauvres - les pauvres. Ce sont des gens bien encombrants, dont le territoire s'étend comme s'étendent les tas de ferraille qu'ils rachètent. La narratrice aurait aimé les tenir à distance, mais voilà qu'ils entrent de force dans sa vie. Car ils débordent d'énergie, ils savent que c'est sur l'amitié et la solidarité que se fonde toute survie, et ils abusent en parlant de ce "y" qui les incruste partout où ils posent leurs cartons ou leurs sacs des restos du coeur : "On va bien s'y entendre !" Impossible de fuir : Anna l'intellectuelle est désormais Voisine, embarquée dans leur vie comme elle l'est dans ce véhicule retapé et multicolore qu'ils lui fournissent à bon compte.
Il y a Marilyne, la belle tzigane à qui il manque des dents. Franck, le ferrailleur RMiste au dos cassé et aux sages paroles, qui sort de prison. Les filles placées par la DASS, Mélodie, l'adolescente qui rêve de s'en sortir, et Mélissa, qui voudrait être aimée, fugue et finit en psychiatrie. Et Loris et Loïc, les enfants sous tutelle. Et Nelly qui brûle sa vie comme une cigarette, mais donne naissance à une petite Violette, fleur douce et silencieuse au fumier de misère. Et Richard l'alcoolique dont les mains tremblent comme tremble en lui son enfance blessée. Et puis, un peu plus loin, dans la nuit du passé, l'ombre transparente et menue de Sylvie, la brillante étudiante amie de la narratrice, qui jadis s'est suicidée de misère.
Il y a ceux qui luttent. Il y a ceux qui continuent. Il y a ceux qui tombent aussi.
Mais tous, ces exclus, ces en-dessous du seuil de pauvreté, ces assistés, ces perdants, ces cas sociaux, ces du quart-monde, ces mal élevés, nous donnent leçon de vie, de mort et d'amour. Ils sont, juste à côté de nous tous, nos voisins les plus proches au grand village d'humanité.