L'incendie
Passant rue Kervégan, je me suis souvenue de cet incendie, la semaine passée, dont on avait parlé dans les journaux. Et de ces précisions qui m'avaient émue : c'était un peintre qui vivait dans l'appartement incendié, et toutes ses oeuvres avaient été détruites. J'avais imaginé en lisant cela l'immense, l'inconsolable douleur de l'artiste.
Un mendiant se tenait devant la maison dévastée, et répondait aux questions des passants. On voit de tels mendiants dans bien des tragédies. Celui-ci était boiteux et porteur de béquilles, ainsi que l'exigent les mythes. Tranquille et souverain, il avait l'air de tout savoir, et, du bout moucheté de l'une de ses béquilles d'acier, désignait en parlant la porte endeuillée et noircie, comme l'ange de la peste, autrefois, aurait lancé sa flèche.
J'ai pensé à ces millions d'oeuvres détruites dans l'immense brasier des siècles écoulés. A la cendre glacée de l'oubli. Au nombre infime des chefs-d'oeuvre qui ont pu parvenir jusqu'à nous. A l'irréparable désastre de tant d'espoirs à jamais effacés. Aux merveilles égarées, aux trésors consumés. Et à ces perles rares, aussi, roulant dans l'incendie, solitaires et fragiles, et sauvées cependant, et grandissant sans fin, à la flamme du temps, pour devenir des phares.
Et je me suis demandé si c'était vraiment lui, le mendiant, celui qui choisissait. Car enfin, il faut bien qu'il y ait, quelque part, un juge impitoyable, un ange clairvoyant, un fou vaticinant, un dieu féroce ou sage - quelqu'un enfin, qui passe et qui désigne, qui fouille dans les braises, qui pèse et qui choisit...