For ever
Dans la sombre rue de l'Ancienne-Monnaie, pour la courte saison du Voyage à Nantes, on a accroché, en hommage à Jacques Demy, ce beau drapeau qui flotte au vent.
"Demy for ever", dit-il sur fond d'hermines bretonnes et de couronnes ducales. "Demy for ever", dit-il sur fond de Peau d'âne et de rue triste. "Demy for ever".
Le vent joue avec l'étoffe légère à écrire d'autres mots, des phrases brèves qu'il efface aussitôt : "Demy fever", " Deny for ever", "My fiddler", "Dey order" - cela veut dire beaucoup, ou rien du tout, qu'importe.
Quand on passe, et qu'on lève la tête, on voit marcher ensemble le ciel, les nuages, et l'âne gris qui broute aux vieilles fenêtres.
J'aime ce drapeau qui dit l'éternité de l'artiste avec le vent qui va et le tissu fragile, avec ce petit âne habillant d'ombre le grand corps lumineux de la beauté, avec ces mots qui remuent et frissonnent, et que chacun relit à sa façon.
J'aime ce drapeau, posé dans une rue grise et laide où l'on ne passe guère, et qui bientôt, terni et déchiré, s'effacera dans les tempêtes et les orages, mais qui nous dit pourtant, "for ever", de regarder là-haut.
"For ever", artistes qui travaillez pour nous, vous êtes les passants de nos vies, les brassées de nuages et les prairies d'azur croissant au-dessus de nos toits, les princes solitaires en robes d'âne et en habit de rien, allant comme le vent par les rues grises où nul ne songe à vous, à moins qu'il ne lève, parfois, la tête vers le ciel.
Vous êtes peu de chose, le temps vous malmène et disperse vos noms, pourtant vous vous tenez pour toujours au-dessus de nous quand nous marchons sans vous voir. For ever.