Final destination
S'égarer place Viarme sur le marché des brocanteurs, c'est faire un parcours bien étrange.
Plonger ses mains profanes dans le carton crevé où agonise en un petit tas de photos passées ce qui fut l'existence de Marie-Josèphe Augustine.
Regarder se mêler aux feuilles de l'automne les toiles méprisées par la postérité, et les voir rayonner, dans leur coin d'ombre, d'un doux éclat tranquille.
S'étonner de retrouver, heureux et bavardant, posés près d'un fourgon tagué, les deux éléphants de bois, symboles d'éternité, qui ornaient le cosy depuis longtemps disparu de mes grands-parents. Remarquer le mot DREAM, sur la paroi souillée de la camionnette, écrit en lettres rouges qui bavent comme on pleure, et s'étonner encore.
Méditer devant la naïve et vermeilleuse assiette où se célèbrent, en décalcomanies de roses tendres et vers luisants de mirliton, quarante-cinq ans d'amour à jamais ternis par la mort.
Saluer au passage le beau Christ solitaire égaré au pique-nique des jardins de Brahma. S'amuser de cette (S)Cène incongrue. Se souvenir d'avoir vu chez le même brocanteur, posé sur la même table, un grand buste du général de Gaulle, entouré d'une foule de tasses à café et d'assiettes à dessert.
Compter les trois reflets de la poupée qui danse dans le rose, multiple et immobile, sur son unique pointe, avant que ne se ferme la boîte aux illusions.
S'égarer chez les brocanteurs, c'est triste et c'est cocasse. C'est parcourir en promeneur un grand tableau de vanité baroque, en savourant toute l'insolence d'une oeuvre de Duchamp. C'est traverser un grand cimetière des illusions et se laisser entraîner dans un vaste happening.
Et puis, en s'en allant, on ne peut s'empêcher de jeter un dernier coup d'oeil sur l'étiquette effacée d'une malle qui bâille. A grand peine on déchiffre les mots pâlis et déchirés :
"Final destination". Sans doute la seule morale à tirer du voyage.