Entre
On a l'habitude, quand quelqu'un demande où est le village - "mais où est-ce, exactement ?"- de répondre d'un air vague : "oh, entre Blois et Vendôme..."
On le sait bien que le village n'existe qu'à l'ombre de plus vaste, de plus connu que lui. Là où peut se glisser, comme une source incertaine de son cours se partageant entre deux pentes, sa timide et fragile existence.
Entre.
Entre Blois et Vendôme.
Entre la Loire royale, où passent lentement de blancs reflets crénelés, ajourés de belles dames châtelaines, et le petit Loir noiraud, mince et luisant comme une anguille, glissant sous les pattes boueuses des vieux saules pêcheurs. Entre la Cisse aux poissons d'argent, qui s'en va noblement vers la Loire, et la Houzée toute verte et mangée de grenouilles, qui penche vers le Loir.
Entre la rude Beauce et la tendre Gâtine. Entre les bois ensauvagés du Perche et les étangs dormants de la Sologne.
Entre eau douce et blé dur. Entre plateaux portant le ciel sur leurs épis dressés, et profondes forêts de violettes et de sources. Entre vivants et morts, entre peine et bonheur, entre hier et demain.
Alors on dit, tout simplement : "Entre Blois et Vendôme", et celui qui écoute hoche la tête sans bien comprendre, un peu peiné pour nous que ce ne soit rien de plus grand, rien de plus beau.
Mais si on voulait répondre exactement, c'est autre chose qu'on dirait. Si on osait.
Par exemple on dirait qu'il est là, le village, à cet endroit où l'on a mal un peu, quand on y pense, là, juste au centre, dans ce nid bleu des souvenirs où bat l'aile du temps, dans ce creux de nos coeurs où roucoulent, le soir, les tourterelles, au bord du ciel.