La certitude d'être encore heureuse
J'étais prisonnière d'un encombrement. Petit bouchon coincé dans le goulot du long embouteillage. Escargot renfrogné dans ma coquille de métal. Cela se passait, sans se vivre, à l'embouchure du périphérique, du côté des grands fleuves de bitume qui mènent au centre commercial et aux grandes succursales bancaires.
Autour de moi du gris, du noir, de la fumée, du temps-qui-est-de-l'argent-qu'il-faudra-regagner, beaucoup d'énervement klaxonnant.
Et en moi tant de lassitude.
Tout à coup, en tournant la tête, je l'ai vu. C'était le camion de la bibliothèque de prêt. Il était garé sur un trottoir, derrière la bordure étroite d'herbes sauvages qu'on laisse pousser là, et il m'avait fait joyeusement signe, avec des doigts ouverts de folle avoine.
C'était si beau, ce qu'il me tendait. Comme une enveloppe timbrée d'espoir que j'aurais reçue, là, une lettre soigneusement calligraphiée en ronde de l'autre siècle, un message de Jules en personne, qui me disait, sage Renard, entre ses deux jolis guillemets posés comme de petits rideaux, dans la chambre des livres où l'on est entre soi : "Quand je pense à tous les livres qu'il me reste encore à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux". J'y ai pensé... Je me suis souvenue.
C'était l'été, c'était l'hiver ou bien c'était à Pâques. On était aux vacances et j'étais à Guéret. Je passais les après-midis assise contre le cosy de bois sombre, à lire les livres de poche accumulés sur les rayonnages. Ils étaient recouverts d'un papier opaque et fleuri, si bien que je ne pouvais en connaître les titres qu'en les ouvrant. Tous m'attiraient derrière leur masque coloré, tous avaient l'air de chuchoter derrière des éventails les secrets de la vie.
Je fouillais les étagères, je prenais un volume au hasard. N'importe lequel, comme ça... pour voir - puisque c'était un livre... et je lisais, je lisais. Des heures. A la dernière page, je me disais : " Encore, j'en lirai encore un après celui-là. Encore, encore", et j'étais aussi heureuse en répétant ce mot, dans le soir qui venait, qu'un élu découvrant, au paradis, que l'infini s'ouvre vraiment à lui. Un jour, ainsi, j'ai lu Que ma joie demeure - un livre bien trop difficile pour moi, mais dont jamais je n'ai oublié le titre, plein de ferveur et de paix, qui toujours s'est associé au cosy, aux étagères remplies de livres, à la bonne lenteur des longs après-midis dans le murmure des mots. Un autre jour j'ai lu - encore ! - Pêcheurs d'Islande. Et j'ai pleuré - encore ! L'embouteillage s'est un peu dégagé, j'ai avancé vers le carrefour, roulant sur le flot sombre comme un navire de fer, dans la lourde impatience des moteurs, laissant derrière moi les souvenirs qui jamais ne pèsent, et le beau camion messager, ancré dans sa prairie. Je peux repartir vers le noir, j'ai la certitude d'être encore heureuse. Puisqu'il y a encore des livres à lire.
C'était si beau, ce qu'il me tendait. Comme une enveloppe timbrée d'espoir que j'aurais reçue, là, une lettre soigneusement calligraphiée en ronde de l'autre siècle, un message de Jules en personne, qui me disait, sage Renard, entre ses deux jolis guillemets posés comme de petits rideaux, dans la chambre des livres où l'on est entre soi : "Quand je pense à tous les livres qu'il me reste encore à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux". J'y ai pensé... Je me suis souvenue.
C'était l'été, c'était l'hiver ou bien c'était à Pâques. On était aux vacances et j'étais à Guéret. Je passais les après-midis assise contre le cosy de bois sombre, à lire les livres de poche accumulés sur les rayonnages. Ils étaient recouverts d'un papier opaque et fleuri, si bien que je ne pouvais en connaître les titres qu'en les ouvrant. Tous m'attiraient derrière leur masque coloré, tous avaient l'air de chuchoter derrière des éventails les secrets de la vie.
Je fouillais les étagères, je prenais un volume au hasard. N'importe lequel, comme ça... pour voir - puisque c'était un livre... et je lisais, je lisais. Des heures. A la dernière page, je me disais : " Encore, j'en lirai encore un après celui-là. Encore, encore", et j'étais aussi heureuse en répétant ce mot, dans le soir qui venait, qu'un élu découvrant, au paradis, que l'infini s'ouvre vraiment à lui. Un jour, ainsi, j'ai lu Que ma joie demeure - un livre bien trop difficile pour moi, mais dont jamais je n'ai oublié le titre, plein de ferveur et de paix, qui toujours s'est associé au cosy, aux étagères remplies de livres, à la bonne lenteur des longs après-midis dans le murmure des mots. Un autre jour j'ai lu - encore ! - Pêcheurs d'Islande. Et j'ai pleuré - encore ! L'embouteillage s'est un peu dégagé, j'ai avancé vers le carrefour, roulant sur le flot sombre comme un navire de fer, dans la lourde impatience des moteurs, laissant derrière moi les souvenirs qui jamais ne pèsent, et le beau camion messager, ancré dans sa prairie. Je peux repartir vers le noir, j'ai la certitude d'être encore heureuse. Puisqu'il y a encore des livres à lire.