La pierre du poète
- Tombe de René-Guy Cadou - Cimetière de la Bouteillerie à Nantes -
Déménager
Triste vie
Auras-tu fermé la porte
A temps ?
Souvent quand les déménageurs passaient
Dans leur voiture empanachée
S'arrêtant au 18 ou au 15 de la rue
Tu te taisais
Tu prenais l'air à la fenêtre
Aujourd'hui c'est ton tour, va !
Tu peux partir
Et loger sous les ponts douteux de l'avenir
Ne trouera plus la nuit
Ta lampe
Et le dernier feuillet
Dans la boue ramassé
Ira pourrir au loin
Sous les feuilles
Mais un feu toujours neuf
Brûle en la cheminée."
(René-Guy Cadou, L'Héritage fabuleux)
Rue Clemenceau se trouve encore le bâtiment de briques à la belle architecture italienne de l'ancienne clinique Notre-Dame de Lorette, où le poète René-Guy Cadou a séjourné, avant de rentrer pour mourir dans sa maison d'école de Louisfert.
L'une des fenêtres s'ouvre souvent, aux beaux jours, je l'ai remarqué. Je ralentis toujours le pas, quand je passe, pour regarder frémir le tulle blanc du rideau..Il me semble, à chaque fois, que c'est lui qui se tient là, fébrile, douloureux, cherchant le ciel et le printemps, tremblant de l'effort de s'être levé. Je ralentis le pas... il se pourrait…il faudrait qu’enfin je te voie, que je t’écoute, que je parle avec toi qui serais encore là et vivant…
Mais il n'y a plus rien déjà, ni personne, derrière la fenêtre entrouverte, que le rideau de tulle blanc que le vent fait trembler. Et je reprends ma route, la terne route, celle qui mène au portail du lycée, ou à l'arrêt d'autobus, nulle part.
Ce n'est rien d'autre, un poète, tu l'as toujours su, ce n'est rien d'autre, la poésie, que ce léger frémissement sur le pauvre chemin des hommes, ce souffle blanc et frais que l'on devine à peine, cette fenêtre entrouverte sur la présence, dans un monde qu'on s'apprête à quitter.
Pourtant, René-Guy, quand je vais, quelquefois, sur ta tombe, dans ce cimetière de la Bouteillerie qui se trouve à quelques pas seulement de cette clinique où commença ce déménagement qui t'éloigna de nous, je le remarque toujours avec un certain étonnement : la Tour de Bretagne, qu'on aperçoit, là-bas, par-dessus la ville embrumée d'horizon, paraît vraiment bien petite à celui qui se penche vers ta tombe.
Dans le royaume des morts où les vivants prennent leçon, la simple pierre du poète est plus haute que les plus hautes tours de ces villes où l'on passe.