Elections
Dans les jardins du village, les dernières tulipes du printemps ont beaucoup plus d’éclat que les affiches électorales déjà fanées sur les panneaux de la mairie. On suivra les débats à la télé, pour voir, et certainement on ira voter. La grille donne sur la rue, et la rue donne sur le monde, pas de doute. Peut-être même qu’on se passionnera un peu, au soir des résultats.
Mais, entre nous, que l’on teinte les heures en bleu ou en rouge, peut-être plutôt en rose, cela ne changera pas la couleur des jours. Qu’on se réjouisse au son des fanfares nationales ou au chant des partisans, cela n’empêchera pas le village de dépérir, et bientôt de mourir. C’est ainsi et on le sait bien.
La maison des voisins d’à côté est à vendre, et aussi celle des voisins d’en face.
On a fait venir de Roumanie le nouveau médecin.
L’hôtel-restaurant, où mon arrière-grand-mère s'exténua jadis à servir les rouliers, ne trouve pas de repreneur.
On parle de fermer la poste.
Je me suis longuement promenée dans les champs et les prés, je n’ai vu cet après-midi qu’un papillon, un petit papillon tout jaune, frais comme une goutte de beurre, qui voletait tout seul au-dessus du colza. Pas une seule abeille dans les épines en fleurs. Derrière les vitres des rares fermes, de vieux visages m'ont regardée longtemps passer sur les chemins solitaires. Et les arbres des haies gisaient en tas épars de branches mortes, vaincus par les pulvérisations d'herbicides, au bord des parcelles trop vastes. En rentrant, j'ai marché sur les traverses éclatées, blanchies comme des os, de la voie ferrée oubliée parmi les éboulis.
Mais à quoi bon rappeler tout cela ? N’en va-t-il pas ainsi de tous les villages, aujourd’hui, dans cette Beauce mal aimée – et puis ailleurs aussi ?
Au crépuscule la rue s’endort comme un chien nonchalant dans un dernier rayon tiède, tandis que, sur les panneaux de bois, les affiches pâlies attendent la pluie qui viendra cette nuit.