Du nouveau sur la pomme
Je regardais cette pomme de janvier qui se balançait sur la branche du pommier, attendant de tomber consentante au grand charnier des feuilles mortes. Pailletée de pustules et refardée de pourriture, elle portait beau sa mort, sur l'arbre agonisant que le lichen recouvrait doucement de son dernier feuillage.
Elle était si parfaite ainsi, si rousse dans sa dissolution, si bien accordée au vieil arbre mourant, à l'hiver grisonnant, et à la pomme dorée qu'elle fut jadis, qu'en la contemplant j'ai rêvé ce petit conte. Une brève histoire de pomme. Du nouveau sur la pomme.
On nous en a tellement parlé, de cette pomme, cette belle pomme appétissante et séductrice qui se pendait en amoureuse à la branche légère d’un jeune plant du paradis...
Pourquoi ne nous a-t-on jamais dit qu'en réalité, il y avait une autre pomme, tout au fond du jardin, à la frontière tremblotante du monde, là où le divin printemps se frottait dans la nuit aux rudes saisons du temps, une vieille pomme pourrissante, une charogne de fruit d'hiver, posée comme un trait final sur la dernière branche du grand jardin de vie?
Et... voilà comment tout s'est passé :
Lorsque ses enfants, en âge enfin de faire leur entrée dans le monde, furent sur le point de mordre, frémissants, à la magnifique pomme d'or, d'amour et de jeunesse que vous connaissez tous, le bon dieu leur montra, tout au bord du tableau, la seconde pomme, un peu perdue dans l'ombre, la pomme rousse amollie d'âge qui se mourait dans l'hiver.
— Etes-vous bien sûrs, interrogea-t-il, êtes-vous bien sûr de la choisir, celle-là, aussi ? Car celui qui mord dans le fruit de délices doit dévorer ensuite le fruit de pourriture, sachez-le bien...
— Oui, dirent-ils. L'une et l'autre, nous les désirons toutes deux, car tu nous as faits semblables à ces deux fruits, nés pour la vie, l'espoir et le bonheur, et conçus pour la douleur, la vieillesse et la disparition.
Alors le maître satisfait les laissa s'en aller vers le monde.
Puis, en les regardant s'éloigner, il se sentit un peu triste. De plus en plus triste. Car il le savait bien, que plus tard ils ne comprendraient plus, et qu'ils la haïraient, la pomme de l'hiver, bien plus qu'ils n'avaient désiré la pomme de la vie. Qu'ils iraient même imaginer on ne savait quelle fable, on ne savait quelle absurde colère du père, on ne savait quelle terrible expiation.