Une clôture
C'était si surprenant, en s'approchant de la haute clôture qui de loin paraissait solide et imprenable, de s'apercevoir qu'elle était faite en réalité de deux jeux de poteaux mal équarris et posés là sans soin, l'un au-dessus de l'autre, tout juste solidarisés par une barre de fer et un filet de grillage grossier. Si bien qu'un vide béant séparait les morceaux de bois que nul n'avait pris le temps d'unir et d'ajuster. Certains piquets malgré tout paraissaient essayer encore de se rejoindre, cherchant la droite ligne d'harmonie. D'autres avaient renoncé tout à fait et commençaient à pencher, solitaires. C'était plein de lumières et d'ombres, désinvolte et meurtri d'échardes. On se disait que le ciel bleu ne ferait pas toujours illusion. Que les planches pourrissantes allaient se gorger d'eau noire. Que le grillage serait vite éventré par les poteaux brisés. Que la barre de fer, sous l'assaut de la rouille, ne tiendrait pas longtemps. Que c'était bien étrange de laisser s'élargir cette faille au milieu de ce monde. Que c'était bien risqué, de s'en aller en foule en autant de morceaux.