Cortège

Publié le par Carole

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Eux, ce sont les Seita, les Trelleborg, les ouvriers de Carquefou qu'on licencie d'un coup, comme on se débarrasse aujourd'hui des stocks, des charges et des coûts, parce qu'il est beaucoup plus rationnel de délocaliser (oui oui oui n'en doutez pas... cela a été calculé dans des bureaux, vérifié par des schémas savants, théorisé par des experts, désiré par de fougueux éditorialistes, expliqué et réexpliqué à la télévision, enfin voté par de très doctes assemblées d'actionnaires désintéressés) – dire qu'il nous a fallu des siècles d'humanisme, de Lumières, de progrès pour comprendre ce que savaient d'instinct les négriers d'ici : que les hommes ne valent décidément pas plus que les choses qu'ils produisent, qu'ils valent même souvent beaucoup moins...
Mais ceux-là, ils ne comprenaient pas, justement. On avait dû mal expliquer, manquer de pédagogie. Car ils marchaient tout à l'heure dans les rues de mon quartier, les Seita, les Trelleborg. Quelques bonnets rouges portant le gwenn ha du les escortaient et l'on battait tambour... une drôle d'armée bretonne qui remontait la rue, revenant à l'usine comme au bateau qui coule. J'étais arrêtée à un feu quand ils sont passés, et je les ai photographiés, très vite, par la vitre. Ils souriaient en remarquant l'appareil et me faisaient des signes amicaux. C'était un cortège bon enfant, coloré, presque joyeux.
 
Ils défilent aujourd'hui, soutenus par leurs camarades, sous le regard curieux des passants, heureux malgré tout de marcher ensemble au soleil, et d'avancer comme si la route allait mener quelque part. Demain ils seront seuls. Tout seuls. Des chômeurs.
 

Publié dans Nantes

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E
" revenant à l'usine comme au bateau qui coule...." belle formule désespérée... et réaliste
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F
hélas des gens en plus sans travail et en plus qui risquent de devenir dépressifs
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Z
j'ai vu quelques quelques minutes d'un documentaire consacré a Pompidou et l'on disait qu'il avait grand pitié des employés tenus en esclavage..(en parlant de secretaires , parce qu'elles faisaient<br /> un boulot repetitif.. En effet peu d'entre nous echappent au travail a la chaine et pourtant quand nous le perdons ce boulot...
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J
Terrible constat qui fait peur. Tant de compétences bafouées , de vies brisées sur l'autel du profit ! Où cela s'arrêtera-t-il ? Amitiés. Joëlle
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G
Un des sujets les plus graves, priver un homme de son travail, comme une descente aux enfers pour la plupart.
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L
Poignant, ce texte de notre époque déboussolée, où il reste aux humbles de ce monde à arpenter les rues pour se faire entendre. Mais qui les entend encore? Et qui pressent combien la révolte monte<br /> en eux, grandit, deviendra un jour (pas si lointain peut-être) révolution?...<br /> <br /> LORRAINE
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C
<br /> <br /> J'espère que çaa n'ira pas si loin. Mais que de souffrances !<br /> <br /> <br /> <br />
A
Je n'y pensais plus ? : Les spécialistes, ceux qui savent, nus dirigent, nous expliquent pourtant longuement que pour redresser notre économie, embaucher, la baisse du coût du travail devait, à<br /> coup sûr, résoudre nos problèmes.<br /> La valeur travail, la valeur humaine, cette richesse unique, a-t-elle encore un sens pour ces grandes entreprises dont le principal objectif est de réduire les coûts salariaux afin de faire<br /> fructifier leurs profits ?<br /> Pour le salarié, lui, le travail est sa seule richesse.
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A
C'est exactement cela, l'ouvrier ne vaut pas plus que la camelote qu'on lui fait fabriquer, le principe est bien ancré chez les négriers dont tu parles, et de plus en plus maintenant, les ouvriers<br /> eux-mêmes finissent par s'en convaincre avec amertume.<br /> Etat d'esprit général ouvrant des portes qui devraient toujours rester fermées....
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J
Nous n'avons pas vraiment quitté la féodalité.<br /> Jonas
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M
Toutes les catégories de travailleurs sont menacés par la possibilité que les entreprises ont de délocaliser. Dommage que manifester se fasse souvent lorsque tout est presque perdu.
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J
Triste fait de société où il ne fait plus bon être qu'un ouvirier, et pourtant il en faudra toujours.... Merci Carole !
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J
Défilé ou cortège?<br /> Valeur humaine, Valeur marchande...<br /> Bel article sur ces cris de désespoir de ceux qui ont tout perdu: dignité et travail<br /> les désespérés défilent<br /> mais tu emploies aussi le mot cortège que j'ai plutôt l'habitude d'entendre dans des moments heureux: mariage, fête...
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C
<br /> <br /> Oui, je voulais bien dire cela : il y a une forme de bonheur à être ensemble, maintenant, dans le "cortège". Mais  bientôt, ce sera la solitude du chômage. Plus de joie possible alors. <br /> <br /> <br /> <br />