Cette ville a trois rivières
Ragondins, confluent de l'Erdre et du Cens
"Tout était secousse et frisson – éclats, miroitements et scintillements, bruissement et sifflement, bavardage et bouillonnement. La taupe était ensorcelée, enchantée, fascinée. Au bord de la rivière elle trottait, comme on trotte quand on est très petit, au côté d’un adulte qui vous tient captivé par des histoires passionnantes ; enfin, fatiguée, elle s’assit sur le rivage, tandis que la rivière continuait pour elle son bavardage, un cortège babillard des meilleures histoires du monde, venu du cœur de la terre pour être enfin raconté à l’océan insatiable." (Keneth Grahame, Le Vent dans les saules)
Cette ville a trois rivières.
la Loire en marche vers la mer, puissante et large sous les ponts.
L'Erdre aux péniches, souple et verte, luisante et fraîche comme une anguille au soleil.
Et la Sèvre un peu noire, eau épaisse et sévère venue du vieux pays des Vendéens.
Trois rivières qui attachent la Ville au Monde, trois cordes d'eau qui amarrent son destin, trois artères palpitantes qui font battre son coeur.
Cette ville a trois rivières qui regardent le ciel.
Trois rivières, et toutes leurs rives éployées de roseaux et de saules, et toutes leurs îles échevelées d'arbres et d'oiseaux.
Trois rivières, et tous leurs affluents où nagent des bêtes calmes dans des reflets pleins d'ombre, et tous leurs marécages où rêvent des fleurs rares, des oiseaux oubliés venus du vieil Eden.
Rivières, rives, ruisseaux, îles et bancs de sable, roselières et saulaies - que la ville repousse sans en avoir trop l'air, que la ville peu à peu recouvre, enterre, goudronne, canalise, ceinture de béton, corsète de boulevards.
Cette ville n'est qu'une ville.
Elle se croit seule au monde.
Et son coeur de béton peu à peu cesse de battre.
Et ses yeux de goudron se ferment lentement,
L'air de rien.