Ce que dit la gargouille
Blois - Église Saint-Laumer
Trois têtes et six oreilles de Cerbère ouvertes en entonnoir, pour y verser les secrets, les ordures, les mensonges, les soupçons, et le reste.
Et une vaste bouche toujours ouverte et sombre, pour tout recracher en pluie sale.
Telle est la gargouille médisance.
Née pour crachichuchoter, pour mordimurmurer, pour accusacculer, pour sournoinsinuer, pour vilipendhaïr, pour saligargouillir...
Mais l'herbe pousse sur la pierre, indifférente, et l'ombre lente et calme de l'église bergère recouvre tout cela de sa grise houppelande.
Ça ne coasse jamais bien fort, une gargouille qui veut se faire aussi grosse que le diable. Ça ne saute jamais bien loin, un crachat de gargouille. Tout juste un petit gargouillis enroué qui s'éteint comme un rire dans le soleil qui passe.
Ce qui m'émeut toujours, dans ces vieilles églises, c'est que le mal y a sa place, mais ne fait pas grand mal. Et qu'on a toujours envie de les caresser, ces monstres un peu moussus aux mâchoires édentées, qui font semblant de croire qu'ils pourraient triompher.
Car dans la vie la vraie vie la vie qui va comme il ne faudrait pas la vie qui mord la vie qui grince la vie qui pleure – ah, ce n'est pas pareil...
Blois, 9 mars 2014