Café du Progrès
Longtemps, on L'avait vénéré comme un dieu. Dans les cafés ouvriers on lui adressait des discours enflammés. On lui dédiait des barricades et des grèves sanglantes. On ne parlait de Lui qu'avec des majuscules dans la voix. On disait Le Progrès, et des armées de martyrs se levaient. Il éclairait bien loin la route.
Et puis il avait bien fallu constater que la nuit était tombée sur lui comme elle tombe toujours sur le monde, qu'il n'avançait plus qu'en boitillant sous son quinquet modeste, à grand peine appuyé sur l'effort des humains, douloureuse béquille. Qu'il pouvait même, saisi de peur, reculer très loin en arrière. Ou refuser tout à fait de marcher, âne bâté que chevauchaient l'avarice et la cupidité...
Qu'il n'avait jamais été Un, mais qu'il était multitude. Orchestre sans baguette. Brouhaha d'espérances et d'avancées infimes.
Qu'il n'obéissait pas aux révolutions, mais seulement aux évolutions.
Enfin qu'il ne fallait pas croire en Lui, mais bien plutôt en Nous.