Cadenas et coeurs de papier
Je marchais, profitant des derniers beaux jours de l'année, quand j'ai remarqué ce cadenas enfoui dans le lierre, si bizarrement inutile, accroché au grillage qui séparait des prés voisins le petit chemin où je me trouvais... en m'approchant j'ai compris : c'était un naïf et rustique cadenas d'amour, comme on en voit par milliers à Paris, alourdissant de tout leur poids le mince Pont des arts arqué au-dessus de la Seine - faut-il qu'il m'en souvienne ?
Ce cadenas des prés était si pauvre, si simple avec son coeur maladroitement tracé et à peine visible, que j'ai pensé que c'était un enfant, ou un très jeune adolescent, qui l'avait accroché là.
Retenir l'amour, ce dieu volage, en l'accrochant par un cadenas aux ponts des villes ou aux grillages des bords de route ? Et puis jeter la clé, oublier que le cadenas s'ouvrira de lui-même, quand l'eau des jours l'aura rongé de rouille, quand le rude frottement du temps l'aura usé... non, ce n'est guère prudent...
Cela m'a rappelé une petite scène à laquelle j'avais assisté, le mois précédent.
J'étais, cette fois, dans un parc de la ville, un samedi du mois d'août, jour de mariages et de photos de mariage. Les pelouses, les allées, les massifs, tout était jonché de coeurs de papier blanc qui, doucement remués par la brise, paraissaient clignoter au soleil du soir comme ces fleurs légères qu'on appelle monnaie du pape. Etrange symbole, pour des mariés du jour, que ces coeurs illusoires et fragiles, monnaie légère du bonheur emportée par le vent... Une petite fille s'affairait à les ramasser, tandis que sa mère - femme maigre et lasse à voix rauque - lui défendait obstinément de continuer. "Laisse donc ça", disait-elle rudement, et elle ouvrait les mains de l'enfant pour jeter ses trésors déjà fripés et éteints, elle la tirait par le bras pour l'empêcher de courir ramasser sur le sol les morceaux de papier encore intacts... Mais l'enfant lui échappait toujours et courait, courait, fascinée, sans rien écouter, après les petits coeurs qui s'envolaient... elle les ramassait, rapide et agile comme un Gavroche du gazon, et les entassait bien serrés dans ses paumes, tout chiffonnés et écrasés, tandis que la mère, de plus en plus contrariée, appelait d'une voix de plus en plus rauque : "Mais laisse donc ça... c'est sale...!" O vous, vous tous, tant que vous êtes, enfants, mères usées, mariés du samedi après-midi, de l'amour il vous faudra encore beaucoup apprendre.
J'étais, cette fois, dans un parc de la ville, un samedi du mois d'août, jour de mariages et de photos de mariage. Les pelouses, les allées, les massifs, tout était jonché de coeurs de papier blanc qui, doucement remués par la brise, paraissaient clignoter au soleil du soir comme ces fleurs légères qu'on appelle monnaie du pape. Etrange symbole, pour des mariés du jour, que ces coeurs illusoires et fragiles, monnaie légère du bonheur emportée par le vent... Une petite fille s'affairait à les ramasser, tandis que sa mère - femme maigre et lasse à voix rauque - lui défendait obstinément de continuer. "Laisse donc ça", disait-elle rudement, et elle ouvrait les mains de l'enfant pour jeter ses trésors déjà fripés et éteints, elle la tirait par le bras pour l'empêcher de courir ramasser sur le sol les morceaux de papier encore intacts... Mais l'enfant lui échappait toujours et courait, courait, fascinée, sans rien écouter, après les petits coeurs qui s'envolaient... elle les ramassait, rapide et agile comme un Gavroche du gazon, et les entassait bien serrés dans ses paumes, tout chiffonnés et écrasés, tandis que la mère, de plus en plus contrariée, appelait d'une voix de plus en plus rauque : "Mais laisse donc ça... c'est sale...!" O vous, vous tous, tant que vous êtes, enfants, mères usées, mariés du samedi après-midi, de l'amour il vous faudra encore beaucoup apprendre.