La serre

Publié le par Carole

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The puzzle is, what are the flowers for ? H.G.Wells, The Strange orchid
 
 
Pour trois euros on peut, chaque après-midi, visiter les serres du Jardin des plantes.
Un jardinier en  tenue et muni d'un couteau vous entraîne à sa suite dans la touffeur de la palmeraie.
C'est un guide remarquable, qui aime ses plantes de la rude passion du Créateur, et les écorche à la lame du canif, pour mettre au jour leurs secrets les moins avouables.
Celui de l'orchidée, par exemple, dont les deux crocs jaunes se fixent sur les pattes des insectes attirés par son parfum, et qui, une fois fécondée – par le couteau du jardinier –, se ferme et se renverse en simulant l'amour, pour protéger son larcin.
Ou celui du népenthès, charmant comme un villageois d'Hokusaï traversant une averse, avec ses petits opercules-parapluies, mais qui attire dans son ventre enduit de cire des insectes qu'il digère lentement, recrachant les carcasses de peau sombre – le jardinier nous montre à la pointe de sa lame l'ossuaire noir et luisant, au fond de l'urne.
Il y a aussi le cecropia schreberiana, à feuillage d'ombrelle et de chauve-souris, abritant dans son tronc creux et étagé, en guise de sentinelles, des colonies de ces terribles fourmis aztèques redoutées des indiens, qui vivent là tranquilles, sans se connaître, comme des voisins d'immeuble – ou de caserne.
La sensitive, si anxieuse lorsqu'on la touche qu'elle referme ses feuilles en frissonnant –aussi peureuse sous les doigts du jardinier qu'une jeune fille surprise nue.
Le langoureux dischidia pectenoides, fleuri de rose, plante royale et fainéante, qui referme ses feuilles en jolis sachets verts, pour y emprisonner les fourmis qui le nourriront.
Et l'inquiétant figuier étrangleur, lançant ses racines comme des cordes sur des troncs tout vivants qui s'étouffent sous sa poussée.
 
"C'est plus intelligent que nous", dit pour finir le jardinier, en refermant son canif.
 
En effet, c'est plus intelligent que vous, que moi, que nous... C'est si troublant de constater cette étrange intelligence des espèces, cette intelligence sans pensée, si puissante et si nette, si acharnée à vaincre, et si indifférente à ce que nous appelons le mal... Mais que pourrions-nous donc en penser, nous qui, justement, ne pouvons que penser ?
 
Et l'on frissonne un peu, en quittant la serre surchauffée, et l'on est soulagé de voir que le jardinier tient toujours son couteau, et qu'il donne à la porte de verre deux bons tours de sa clé de métal.

 

Publié dans Nantes

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