Bulles de savon
C'était si étrange et c'était si attirant, dans la rue déjà sombre, ces bulles de savon tournant dans la lumière, que nous les avons suivies sans y penser.
Quelques instants nous avons marché, fascinés, guidés par leurs promesses si légères. La rue était pauvre et triste, elles dansaient et tournoyaient par tous leurs arcs-en-ciel. Dans le crépuscule gris c'était comme un chemin léger qui s'élevait vers les étoiles, comme un envol d'embruns qui avait l'air de mener loin, et où se recueillaient, en anneaux fragiles et menus, les couleurs irisées du bonheur qui fuyait devant nous.
Puis, tournant à leur suite le coin de la rue, nous sommes arrivés jusqu'à un petit restaurant très ordinaire. Un appareil de métal noir était posé sur le trottoir, devant la porte. C'était de là que sortaient, en flots pressés, grésillants et factices, les bulles qui nous avaient enchantés.
Le prix des repas était affiché sur la vitre jaune. A l'intérieur, on entendait des rires et la sono marchait. Dans la rue où nous étions seuls, il faisait déjà froid, la nuit était tombée tout à fait.
Il suffit de si peu pour que surgisse devant nous le chemin de beauté qu'on pourrait suivre jusqu'au bout.
Il suffit de si peu pour qu'il s'éteigne et se dissipe et laisse place à l'ordinaire parcours.