Bonjour monsieur Michon
On m'avait dit qu'il habitait dans cette rue où je passe tous les jours. On me l'avait dit mais je ne le croyais pas. Car c'est un écrivain que j'admire. Comment un écrivain que j'admire pourrait-il emprunter le même trottoir que moi, comment pourrait-il s'affronter au même horizon barré d'immeubles sombres, et regarder passer dans le ciel vide les mêmes nuages gris ? Donc, je savais qu'il habitait là mais je n'y croyais pas.
Mais voilà, hier après-midi...
...je passais dans la rue comme chaque jour, lorsque j'ai vu le facteur se pencher vers un interphone. Il a appelé : "Monsieur Michon ? J'ai déposé un paquet pour vous dans le hall... "
J'ai entendu une vois grésiller dans l'interphone. Je ne sais pas ce que monsieur Michon a répondu, mais il avait l'air embarrassé par le cadeau du facteur, qui a insisté : "Vaut peut-être mieux pas le laisser là..." A nouveau la voix a grésillé, à l'autre bout de l'interphone, venue de la pièce où se trouvait monsieur Michon. Le facteur a dû être rassuré cette fois, car il a repris son chemin, sur son grand vélo noir chargé de lettres et de paquets.
Pas de doute, l'écrivain que j'admire habite dans cette rue où je passe tous les jours, il reçoit des paquets qui l'encombrent, sa voix grésille dans l'interphone d'un hall d'immeuble, il est monsieur Michon pour son facteur et pour son boulanger. Banale est sa vie, banale est sa rue, banal est son nom. Son oeuvre seule n'est pas banale. Et c'est là justement la seule chose que l'on doive admirer : que dans le carton des jours ordinaires il ait su découper sa couronne et la repeindre à l'or. On dit que Verlaine, devenu vieux, avait ainsi acheté un pot de peinture dorée, dont il avait repeint pour se distraire son mobilier de pauvre.
Le roi vient quand il veut, il se promène sur les trottoirs crottés, récupère des cageots pour y poser ses livres, bavarde avec l'interphone qui rouspète et crachote, et reçoit pour Noël des paquets emballés de papier kraft. Peut-être même s'en va-t-il boire un coup, parfois, sur son vélo de facteur, au café des poètes.
Bonjour monsieur Courbet. Bonjour monsieur Gauguin.... Bonjour monsieur Michon.