Biscuits

Publié le par Carole

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Enseigne - Rue Kervégan, Nantes.
 
    J'ai rencontré rue Kervégan cette enseigne rouillée que le soleil dorait dans son grand four d'automne et que le soir léchait de ses derniers rayons comme d'un miel très pur.
    Je ne l'avais jamais remarquée jusqu'alors... il y a pourtant trois bons siècles qu'elle est accrochée là-haut, si l'on en croit le catogan du cuisinier et les boucles de ses souliers. Et l'adresse était bien connue, à en juger par la prospérité de ce maître ventre, rond et tendu, fécond à engendrer les louis comme ses bons enfants.
    Rue Kervégan, dans cette île Feydeau où les armateurs de la ville s'étaient nichés au XVIIIe siècle ainsi que sur un beau navire en partance, il y avait autrefois, bien sûr, des boutiques destinées à l'approvisionnement des équipages... Et cette enseigne nous rappelle que les biscuits ont d'abord été de rudes pains de marins bis cuits, deux fois cuits, deux fois passés au four sur la pelle du boulanger, et dont on surveillait longuement la cuisson. On les emportait secs et bien emballés dans de grandes boîtes en fer, on les trempait ensuite de soupe ou de vin, pour s'en nourrir pendant les longues traversées.
    Puis les boulangères aux écus, se faisant pâtissières, les ont morcelés, sucrés, salés, noyés de beurre, de confiture ou de chocolat - et les frustes biscuits de mer sont devenus, ici, pour nous séduire, petits Lus ou B.N. Ailleurs, ils ont tout aussi bien pu éclore en délicates porcelaines, et charmants modelés de Sèvres ou de Saxe. On en a même vu se faire munitions de journalistes... Pourquoi pas ?
 
    Car le temps, savez-vous, pétrit le langage comme un bon cuisinier, comme un boulanger malin, et chaque homme qui parle cuit et recuit, à petit feu très doux, sans même s'en apercevoir, tous les mots de sa vie, pour en mûrir le sens et en forcir l'arôme, afin de les confier, provision sûre, aux marins de demain, aux gourmands à venir, aux esthètes d'après, aux bavards de toujours.
 
    Biscuits... mots dont se nourrit la pensée, vous êtes la pâte qu'il faut patiemment pétrir et lentement passer et repasser au four, pour en extraire sans fin, tout doucement, la saveur et la joie. 
    Deux fois, trois fois, dix fois, cent fois recuits,
    les mots se boulangent, se pâtissent, se travaillent, se reposent, s'assombrissent, se dorent, se dégustent, se rêvent.
    Mots salés, mots sucrés, mots croquants, mots fondants, mots brûlants, mots de soif, mots de faim, mots d'amour, mots d'exil,
    mots de tous les voyages,
    mots dont je veux faire mes bagages,
    mots dont je veux faire mes délices,
    biscuits de poésie...

Publié dans Nantes

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