Sous le vent

Publié le par Carole

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    La photo est banale, bien sûr, et je ne prétends pas vous la faire admirer : tout le monde a déjà vu de telles photos de hérissons. Mais voilà : moi, je n'avais jamais réussi jusque-là à me poster aussi près d'un hérisson sans qu'il prenne la fuite ou se mette "en boule".
 
    Cet après-midi-là, dans mon jardin il y avait tempête et les arbres ployaient en grinçant sous l'effort. J'avais aperçu le hérisson depuis la fenêtre de la cuisine, et j'étais sortie pour marcher vers lui. J'avais "bon vent" de photographe, car j'étais "sous le vent", comme on dit en marine : le vent soufflait fortement vers moi, empêchant le hérisson, qui lui était "au vent", de me sentir aussi bien que de m'entendre.
    Pluie et vent, vacarme et tintamarre... le mauvais temps se déchaînait au jardin... l'animal se tenait visiblement en alerte, frémissant comme le sont toujours les animaux qui se tiennent à découvert, veillant ferme au noroît, redoublant de prudence et hérissant ses poils puisqu'il y avait tempête. Et, certes, si le danger était venu du côté qu'il surveillait, celui dont le vent soufflait, dont le bruit venait, il l'aurait aussitôt deviné, depuis longtemps il aurait fui... mais la menace lui venait d'ailleurs, du côté qu'il ne surveillait pas. J'étais le danger inconnu, inconnaissable... je me suis approchée, j'ai avancé, tout près, tout près. J'aurais pu le saisir, le piétiner, le détruire, j'avais tout pouvoir sur lui qui ne se rendait toujours compte de rien, et continuait à fouiller le sol du museau, dégustant je ne sais quels oeufs posés là dans les feuilles et la mousse... Modeste prédateur, je me suis contentée de quelques clichés.
 
    J'ai repensé à tout cela, ensuite. Souvent, méfiants comme des hérissons, nous nous tenons en alerte, veillant à toutes les menaces, prêts à fuir ou à nous mettre "en boule" pour résister... Si le vent souffle fort, s'il y a gros temps au jardin, nous redoublons de vigilance. Nous nous croyons habiles, nous pensons être prêts.
   Et puis le danger vient d'un autre côté. Celui que nous ne surveillions pas, que nous ne pouvions pas surveiller, absorbés que nous étions par d'autres terreurs et d'autres tintamarres. Et cette extrême prudence que nous mettions à parer les dangers prévus, c'est elle justement qui nous empêche de deviner le danger nouveau, de faire le guet de ce côté inattendu dont il nous vient sans bruit. Le malheur n'a plus alors qu'à nous jeter à terre, d'un simple coup de pied, pauvres hérissons que nous sommes, parmi les feuilles mortes. 
    Le malheur ? Et le bonheur, donc ? Ne s'en vient-il pas à nous, lui aussi, bien souvent, du côté où nous ne l'attendions pas ?
    Ainsi va la vie des humains et des hérissons. Sous le vent. Au vent.

Publié dans Fables

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