Au bord de la route
J'ai croisé cette femme hier soir, elle attendait sur le bord de la route, à côté de l'horodateur, à la sortie du parking, près de son gobelet de mendiante.
C'est dur d'être debout quand on est enceinte, mais pour mendier, c'est plus facile. Et puis ce n'était qu'une Rom...
Tant de controverses en ce moment sur ces Roms, n'est-ce pas ? Voilà une question sérieuse, une question pour journalistes, avec arguments et contre-arguments. Il y a des gens qui savent. Beaucoup qui croient savoir. Quelques-uns qui décident.
Moi, je ne suis ni des uns ni des autres.
Je me suis seulement demandée, quand j'ai pris la photo, si cette femme qui allait bientôt donner la VIE connaissait assez de français et savait assez bien lire pour comprendre le sens de ce mot majuscule, posé sur le grand sac bleu qui renfermait sa fortune du jour. Que contenait-il, du reste, ce baluchon de plastique qui était à ses pieds toute la VIE : prises de poubelles, épaves de trottoirs ? ou plutôt dons venus du tout proche Secours Populaire ? - étrange caverne d'Ali-Baba à l'envers d'où on voit sortir chaque jour de longues, lentes cohortes de pauvres, chargés de ce qu'il faut, à peu près, pour continuer la route, rester encore un peu en VIE.
Puis j'ai pensé à un autre mot : PRO-GRÈS... j'avais appris autrefois, quand j'étudiais le latin et l'histoire, que c'était la belle marche en avant, radieuse et triomphante, des peuples allant ensemble vers l'avenir, la splendide avancée d'une grande humanité réconciliée, sur l'avenue glorieuse des civilisations qui fait la VIE si belle, qui fait l'homme sacré.
PRO-GRÈS - un mot qui me plaisait tant, qui me faisait rêver...
On ne m'avait pas dit qu'en réalité - comme on dit aujourd'hui quand on ne rêve pas, quand on est réaliste, qu'on a les pieds sur terre et la pensée loin des étoiles -, tant de gens en ce monde auraient à prendre l'autre route. La route grise, triste et honteuse, qui va sous les fenêtres murées des villes assombries, le long chemin où il fait faim, où il fait laid, où il fait froid. Qui laisse aux caniveaux tant de cadavres, et sur ses bords tant d'existences oubliées. Debout derrière les barrières. Près de leurs sacs de plastique. Regardant, de très loin, passer cette merveille majuscule qu'on appelle la VIE.