Astéroïde
Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Tintin. L'étoile mystérieuse. Le petit FERS jaune et l'Aurore, luttant contre l'effroyable étoile...
Toute notre civilisation, il me semble, depuis l'an mil, depuis le mil avant l'an mil, depuis toujours sans doute, s'est construite contre la peur d'une fin du monde. Les royaumes, les palais, les églises. L'éternité, le progrès, le confort. Les cimetières et les académies. Les ponts et les avions, les autos, les usines et les banques. Les écrivains et la postérité. La Pléiade et Victor Hugo. Et même les BD.
Pour en finir avec la peur que tout, un jour le dernier jour, ne se finisse, pendant des siècles et sans relâche, on a exploré, travaillé, rimé, inventé, imaginé, théorisé, archivé, breveté, fabriqué, éradiqué, aseptisé, robotisé... Le monde entier, en algorithmes séquencés, on l'a enfin couché et ligoté dans les filets du web.
Enfin, disait-on, enfin, il était tout à fait maîtrisé, ce géant remuant. On en avait à jamais terminé avec les champignons du cauchemar et les explosions du hasard.
Petits Tintins qui ne savaient pas grandir, Poucets perdus dans leurs bottes de sept lieues, nous n'avions rien compris. Rien compris à nous-mêmes. A la fascination fatale qui animait nos efforts.
Car voici qu'aujourd'hui l'aiguille a fait son petit tour de mil sur le cadran des ans, et que nous la craignons plus que jamais, la fin du monde, et qu'elle pourrait bien, justement, beaucoup plus que l'immanquable résultat, être le sens caché de cette fabuleuse civilisation qui croyait qu'elle voulait en finir avec la fin du monde. On est toujours rattrapé par ses peurs, quand ce sont elles qui vous ont jeté sur la route.
Et voici qu'aujourd'hui, passifs, coupables et résignés, nous attendons, les yeux fermés, que tout cela finisse, en guettant, sans rien faire, comme ils nous l'avaient demandé, jadis, les vieux imprécateurs, la fin de notre monde, notre fin de leur monde.
Pourquoi ?
Pourquoi se demander pourquoi ?
C'est simplement, au fond, que nous en avions toujours eu la conviction.
Qu'elle nous attendrait au tournant. Qu'elle nous arrêterait au milieu de la course,
la fin.
Et que peut-être
ce serait
comme dans Tintin
que ce ne serait pas
pas vraiment
pas du tout
la fin.