Arthur le jardinier
Je venais de garer tranquillement ma voiture sur la place. Il me semblait, bizarrement, que quelqu'un me regardait. J'ai levé la tête. En effet... Il était là, avec sa cape de bure sur les épaules, comme un vieil homme s'ennuyant et regardant à sa fenêtre passer la vie.
Il y a des gens, comme ça, qui préfèrent avoir la mort chez eux plutôt que d'être obligés un jour de lui ouvrir leur porte. Ils ont moins peur, ils croient apprivoiser ce qui les hante. On bavarde avec elle, on lui fait place, on s'en amuse, et, parce qu'on pense la connaître, on croit l'avoir de son côté. Ne voit-on pas ces temps-ci de jeunes coquettes arborer des sacs à main ornés de crânes pailletés ? Mettre la mort dans son sac, pour l'empêcher d'y retrouver ces plus d'un tour qu'elle nous garde en réserve... naïve précaution...
En y réfléchissant, ce squelette à la fenêtre m'a rappelé Arthur le jardinier...
Quand j'étais élève de sixième au lycée Ronsard de Vendôme – celui-là même où Balzac avait fait ses études – régnaient sur la salle de sciences naturelles – comme on disait alors – monsieur et madame Auclair, couple de professeurs jeunes et radieux, au nom étincelant. Un vieux squelette dormait tout au fond de la salle, jauni, noirci, ranci, qui grelottait lorsqu'on le déplaçait. Le squelette me terrifiait, et je le rencontrais, fantôme hagard, dans tous mes cauchemars. Jusqu'au jour où un gamin de ma classe me glissa à l'oreille qu'il s'appelait Arthur, et qu'il avait été jardinier au lycée. Arthur le jardinier... J'avais cessé d'avoir peur : le squelette n'était plus qu'un brave homme qui avait ratissé les feuilles dans les allées du parc, semblable à ceux que nous croisions quand nous courions en rond, échappés clairsemés du vieux gymnase de bois, pendant les cours de gymnastique. D'un être aussi humble, paisible et familier, quel mal aurait donc pu me venir ? Il avait suffi de lui donner un nom, un costume de jardinier – ou une vieille cape de bure.
Et puis je me suis souvenue encore de ce jour où monsieur Auclair, dont la jeune femme enceinte était sur le point d'accoucher, nous avait fait un long discours émerveillé sur le "miracle de la naissance et de la vie". Je ne comprenais pas très bien. Mais dans son coin, Arthur le jardinier souriait doucement. Il avait vraiment l'air d'approuver.