Art (et jeunesse)
"La jeunesse est un art", avait écrit quelqu'un dans l'escalier. Signée de trois traits – ceux de l'initiale W ? – la maxime semblait forte et bien boulonnée. Fraîchement peinte ou repeinte, tout à fait juvénile.
Je n'étais peut-être déjà plus vraiment jeune, mais je grimpais encore d'un bon pas. Et cela m'avait plu de lire à mon passage ces quelques mots flatteurs. Oui, oui, je pourrais la prolonger longtemps, très longtemps, certainement, cette jeunesse qui était avant tout un art, le grand art de ne pas vieillir... Et même, en la cultivant savamment, cette belle jeunesse, peut-être je pourrais, dans mon arrière-saison, cueillir des fruits bien doux, sur l'arbre précieux de ma vie toujours neuve...
Voilà ce que je m'étais dit en montant l'escalier.
Et puis... et puis, je l'ai redescendu. La maxime était toujours là, toujours aussi nettement tracée. Mais l'escalier était devenu bien raide, et moi, essoufflée, fatiguée du voyage, j'avais sans doute beaucoup vieilli, car cette fois je me suis arrêtée pour reprendre haleine, et j'ai lu les mots tout à rebours : "L'art est une jeunesse".
En effet... me suis-je dit, j'avais dû mal lire autrefois... j'avais dû lire trop vite. Ce n'est pas la jeunesse qui est un art, c'est l'art, bien sûr, qui est une jeunesse. L'art est notre jeunesse, l'art est la seule jeunesse. N'en espérons pas d'autre. Mais celle-là du moins saura sans faiblir nous accompagner jusqu'en bas des marches, et nous aider à vivre, avant de nous tendre la main, quand il faudra enfin traverser la vieillesse et accepter la mort.
Quand j'ai repris ma route, j'avais la curieuse impression de n'être plus tout à fait seule, dans l'escalier étroit où la nuit s'installait pour dormir, comme un vieux vagabond.