Alimentation café

Publié le par Carole

alimentation café chantenay
 
 
    C'était encore à Chantenay, au coin de cette impasse de la Conserverie, où rouille le passé près des usines mortes.
    Blottie dans l'ombre et dans la mousse comme un spectre très las, elle faisait signe encore, de son bout de rideau secoué en mouchoir, la boutique d'avant. Elle aurait tant voulu qu'on tende un peu l'oreille, maintenant qu'on allait la repeindre et la refaire à neuf.
    S'adressant dans le vent à la pluie et aux chiens, aux passants, au néant, elle répétait tout bas :
    " Ici on faisait halte après l'ouvrage, pour boire un coup de rouge et un verre de courage. 
    Ici on pesait lentement le beurre et la farine, et trois sous de persil, et dix sous de café. 
   Ici on buvait sec, à la santé des ouvriers, à l'avenir radieux, et au présent pas bien fameux.
    Ici on débitait les jours par tranches épaisses et dures, et le bonheur en petits dés comme lardons à frire. 
    Ici on médisait et on compatissait, on pleurait la misère et on faisait crédit. 
    Ici, disait le spectre de sa voix de mémoire, non ce n'était pas mieux, c'était même un peu triste et toujours un peu sale, ça sentait le charbon, le houblon, la ferraille, et aussi la sardine, mais c'était l'existence. Avant. "
    Et sans répondre je me suis arrêtée pour regarder passer, par le grand oeil crevé de la vitre brisée, les ombres oubliées de la vie qu'on vivait. Avant.

 

Publié dans Nantes

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O
Carole,<br /> <br /> dimanche matin dernier,<br /> <br /> je me suis promenée juste en face,<br /> <br /> sur les quais de Trentemoult<br /> <br /> et dans les petites rues colorées, en arrière...<br /> <br /> Loop
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M
Belle photo d'un de ces lieux qui fut effectivement "le centre du monde" et n'est plus rien aujourd'hui !
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M
C'est triste.. d'abandonner un endroit où l'on fut heureux, on oublie facilement ce que l'on a aimé. lieux, famille.<br /> Ton texte est très beau, c'était le vraie vie..
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Z
" A l'époque c'était différent...maintenant c'est différent.."
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C
<br /> <br /> Hum... oui oui. Pas si différent pourtant, pris dans le temps, toujours.<br /> <br /> <br /> <br />
Q
C'est un superbe moment de lecture. Merci, Carole.<br /> <br /> Passe une belle journée.
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G
impressionnant..à des années lumières des grandes surfaces actuelles
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F
Mon adolescence dans l'épicerie /buvette de maman!!!Mais pas à Nantes!A Vincennes!! Nostalgie toujours!! d'mon temps, on savait faire la causette avec tous les gens du quartier et les gars des<br /> usines!! BISOUS FAN
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L
Tout ce passé qui défile par ta voix revient dans "Le Café" où s'attablent les ouvriers. Je le entends, ils sont fatigués et poussiéreux, mais boire un coup ne se refuse pas. Une gamine danse à la<br /> corde près de la porte; un chien passe, c'est celui de la Julie, vagabond mais affectueux. Sur la balance, Julie pèse la farine, ses poids de cuivre brillent comme un soleil..."<br /> Merci pour cette visite d'un autrefois plein de nostalgie...<br /> <br /> Lorraine
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N
On y vendait sans doute le lait dans un bidon, à la mesure, et son odeur un peu fade se mêlait à celle du gros rouge servi au comptoir...
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C
Toutes les mânes des travailleurs d'avant dans ce petit café, que vos mots ressuscitentavec émotion.
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M
Quand la vie se rappelle à nous comme un spectre parfois, qu'il est bon de la ressusciter avec des mots!
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D
quel bon moment, j'ai passé à lire et regarder cette image. Magie des mots,magie des souvenirs. Il y a des années en haute savoie. Dans un coin reculé, il y avait un commerce de ce genre. À<br /> l'intérieur une vieille femme. Tout semblait avoir 50ans et plus. Une sensation étrange de faire un bon en arrière. Seuls quelques produits "actuels" sur les étagères en bois montraient que ce<br /> n'était pas une illusion.
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E
tu me fais penser aux usines de Verhaeren :<br /> <br /> "Se regardant avec les yeux cassés de leurs fenêtres<br /> Et se mirant dans l'eau de poix et de salpêtre<br /> D'un canal droit, marquant sa barre à l'infini, .<br /> Face à face, le long des quais d'ombre et de nuit,<br /> Par à travers les faubourgs lourds<br /> Et la misère en pleurs de ces faubourgs,<br /> Ronflent terriblement usine et fabriques...
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C
<br /> <br /> Même ambiance, oui, le temps des ouvriers dans les villes. Tu as bien choisi ces beaux vers. <br /> <br /> <br /> <br />
J
Comme tu sais bien faire parler les lieux Carole ! En fermant les yeux, on pourrait presque se croire à "Avant". Amitiés.Joëlle
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J
Ce genre de lieu près des usines autrefois, qui aujourd'hui ferment... l'avenir radieux, ah plus qu'une utopie... merci !
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A
Un endroit qui raconte encore la vie "d'avant", ce ne seront plus les mêmes qui fréquenteront la boutique une fois restaurée, mais je suis sûre que toi, tu trouveras encore un petit indice qui nous<br /> révélera son passé...
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A
Un mode de vie révolu,à considérer avec une certaine nostalgie sans oublier, je pense, que cet"avant" n'était forcément "mieux", que tout n'y était forcément rose...
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R
Nostalgie de l'"Avant", à laquelle il faut parfois sacrifier, un peu, pour nous permettre, après, de rebondir, beaucoup, et d'aller de l'avant ...<br /> <br /> Toujours !
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