A moi
C'était une petite maison du bord de mer. Une mince bicoque délabrée coincée entre deux épaisses villas de moellons. Au lieu de l'appeler "Pluie de roses", "Doux ressac", "Mouette rieuse", "Manoir des grèves" ou "Sam'suffit", on l'avait nommée "A moi Na"...
Il en avait eu du mal, sans doute, l'heureux propriétaire, à se la bâtir, à se la payer, sa cabane du bord des flots... tellement de peine, Na... qu'il pouvait bien en rire à la fin. Mais aujourd'hui... eh bien... sans doute il était mort, ou alors il était vieux, et incapable de l'entretenir, aussi petite soit-elle. Comme une autre elle était à vendre, la villa "A moi Na..." Pour une bouchée d'algues, une liasse de méduses... au plus offrant - un promoteur peut-être ?
Je me suis souvenue d'une vieille tante qui avait eu du bien mais dont tous les biens tenaient après décès dans une petite valise. Cette petite valise était elle-même évidemment destinée à être jetée par d'autres héritiers, et, en attendant, se couvrait peu à peu de poussière, objet perdu que ne réclamerait plus jamais sa propriétaire.
Qu'est-ce qu'on a donc à soi, vraiment à soi, sur cette terre ?
Rien du tout, Na ! même pas le coin de boue au cimetière qu'on ne concède qu'en location.
Et c'est sans doute pourquoi nous voulons tous absolument être propriétaires.