A Combray -1-
"[L]es pierres tombales, sous lesquelles la noble poussière des abbés de Combray, enterrés là, faisait au chœur comme un pavage spirituel, n’étaient plus elles-mêmes de la matière inerte et dure, car le temps les avait rendues douces et fait couler comme du miel" - Marcel Proust, Du Côté de chez Swann.
A Illiers, qu'on appelle aujourd'hui Combray, tant le monde que l'artiste nous donne à voir finit par pénétrer toute réalité, il faisait bien froid. Pourtant la porte de la vieille église était restée ouverte.
Nous sommes entrés, surpris d'être invités, et nous avons découvert la nef, semblable à un bateau s'en allant dans le temps, avec sa charpente de bois sombre qui rappelait aux promeneurs des longs plateaux de Beauce qu'il y avait eu là, jadis, de hautes forêts de chênes frémissant sous le vent.
A la clarté d'un vitrail, j'ai aperçu cette pierre tombale. Elle recouvrait le corps d'un jeune abbé d'autrefois, disparu à vingt-cinq ans, disait l'inscription. De Profundis... sur la pierre couleur de terre dure, la tête de mort aux orbites profondes rayonnait d'ossements comme un soleil d'en bas... clamavi, clamavi...
J'ai pensé que le jeune Marcel avait vu cette pierre, qu'il avait craint de poser ses pas sur ces os tournoyants, que le regard noir et cave du mort avait fait frissonner ses nuits agitées d'insomnie.
Et je me suis dit qu'on pouvait, en effet, s'enfermer dans une chambre et bâtir toute une oeuvre, pour qu'Illiers devienne Combray, pour que les tombes se fondent en miel, et que l'os des visages en allés se sculpte de nouveau aux formes douces de la vie. Pour que la naïve brutalité de la mort laisse place aux savants cheminements de la mémoire, aux calmes intermittences de la rêverie. Et que les mots recouvrent peu à peu de leurs plis délicats les yeux perdus du temps - enfin retrouvé.