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Rythmes

Publié le par Carole

Rue Lapérouse, au coin de la place Royale, deux musiciens s'étaient postés. L'un tenait une contrebasse, l'autre frappait d'un maillet un étrange piano, mi-harpe mi-xylophone, un cymbalum... - merveilleux instrument que j'avais vu, jadis, sur la scène de la "Folle Journée" où se produisaient les musiciens tsiganes du "Taraf de Haïdouks".
Les deux Tsiganes jouaient très vite, des airs au rythme étrange et changeant. Le rythme "boiteux" des Balkans... Et c'était curieux de regarder les gens qui passaient. Certains se mettaient à marcher plus vite, pas réguliers, l'un après l'autre, rythme binaire. D'autres, amoureux interprètes, commençaient à danser, valse à trois temps, rythme ternaire. Il y en avait aussi, bien sûr, qui n'écoutaient pas, et restaient immobiles.
 
musique-rue-laperouse.jpg
 
C'est ainsi, en musique, et partout, et en tout. Il y a ceux qui préfèrent aller sur deux temps, marche en avant, droit devant eux. Ceux qui ne vont qu'en tournoyant, légèrement, trois temps de valse, trois temps de grâce. Ceux qui savent nous faire aller sur tous les rythmes. Et ceux aussi qui se contentent d'attendre, ou de dormir, indifférents.
 

Publié dans Nantes

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Brèves d'automne

Publié le par Carole

framboise-2.jpg
  Jardin de la médiathèque J. Demy, 12-11-2014
 
 
Dans le jardin rouillé, elles étaient si jolies, elles semblaient si pulpeuses, ces deux framboises posant sur le ciel gris leurs lèvres amoureuses. Je me suis arrêtée, séduite. J'aurais pu les croquer en novembre comme pommes en Eden...
 
J'ai préféré cueillir ces fleurs de cerisier. Vaincues par une averse et tombées sur le sol près de l'aile brisée du grand érable chauve.
 
fleurs cerisier faines
 
Fleur d'avril en novembre, fruit d'été en automne. Cela devrait être beau comme miracle. Mais nous voilà marchant seuls et sans but dans ce monde qui s'épuise, tandis que les saisons vacillent sur leur axe.

 

Publié dans Fables

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Fleurs

Publié le par Carole

fleurs---Blumen-copie-1.jpg

 

Cela m'a d'abord fait sourire... Semer des fleurs, et égarer leur nom. Planter quand même son petit panonceau dans le jardin des mots. Écrire "Fleurs"  et "Blumen", en deux langues, pour semer plus profond. Y perdre son latin, et rateler l'espoir. Désherber les heures noires, éclaircir l'illusion. Puis ne rien récolter. Et ressemer encore.

Mais au fond, n'est-ce pas toujours cela, un jardin ? On y sème des graines qui sont aussi des rêves, que l'on cultivera, ou que l'on oubliera, que demain flétrira ou bien épanouira. Tout jardinier est un rêveur. Tout rêveur est un jardinier.

Je dis "fleurs", je sème le mot "fleurs". Et des bouquets s'éveillent derrière mes paupières closes, tous les parfums m'appellent, des arbres de printemps s'égouttent dans le bleu.

Je sème. Et puis... tant pis, c'est en moi que je sème, cela devient ou bien cela revient. Grain de folie qui infuse ou pourrit. Graine de ciel qui s'enterre ou ricoche. Aux averses jetée, au grand vent replantée. Il n'y a de jardin qu'incertain. Il n'y a de moisson que peut-être.


Publié dans Fables

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Autoportrait au miroir du prisonnier

Publié le par Carole

On pouvait visiter aujourd'hui l'ancienne maison d'arrêt de Nantes, fermée il y a deux ans, et actuellement investie par un groupe d'artistes avant sa prochaine démolition.
Je m'étais toujours demandé, en longeant les hauts murs emperruqués de barbelés, comment on vivait là-dedans. Et j'ai vu.
La cage à folie du "mitard".
 
ancienne-maison-d-arret---le-mitard.jpg
 
Les cellules sombres aux fenêtres grillées, minuscules, où paraît-il on logeait à trois ou à quatre. Les oeilletons au couvercle tordu rouillé souillé d'avoir été tant de fois retourné sur le vide.
 
ancienne maison d'arrêt - oeilleton
 
La cour humide où l'on tournait en rond comme pauvre Lélian, une heure par jour et sans soleil. Les noms gravés sur les murs sourds, en lettres profondes comme la rage. Les dépouilles étranges des "missiles", ces objets interdits jetés de l'extérieur, restés pendus aux barbelés comme cadavres à leur gibet.
 
les missiles
 
Et cette empreinte enfoncée dans le sol de la salle de sport... quel bond il avait fait, quelle énergie il avait mise à sauter, et comme il était lourdement retombé, celui qui l'avait laissée là, sur le lino usé.
 
ancienne-maison-d-arret---empreinte-salle-de-sport.jpg
 
Dans l'une des cellules ouvertes aux visiteurs, j'ai fait mon autoportrait au miroir fêlé :
 
ancienne maison d'arrêt autoportrait-copie-1
 
Qu'il serait différent, ce monde si violent, ce monde si cruel, si chacun pouvait se regarder au miroir auquel l'autre se voit. Le criminel au miroir de sa victime. Le juge au miroir de son condamné. Le prisonnier au miroir de son gardien. Et le passant au miroir de tous ceux qui derrrière l'oeilleton purgent leur vie perdue.
Ce qui pourrait nous sauver du mal, ce n'est pas la sévérité, pas davantage la douceur. Non, ce qui pourrait nous sauver, c'est l'imagination. Seulement l'imagination, soeur jumelle de compassion.
 
 

 

Publié dans Nantes

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Juste avant le mot "FIN"

Publié le par Carole

santons.jpg
 
C'est un soir dans la ville. Un soir comme tous les autres. On passe dans la rue remplie de figurants et de décors banals.
Et soudain cette image sur l'écran qui tremblote. Une très vieille femme qui s'affaire à ranger. Juste avant le mot "FIN".
C'est un soir dans sa vie. Un soir pas comme les autres. Car c'est le dernier soir. La boutique est à vendre. La boutique est vendue.
La femme ne nous regarde pas. Elle a tant de travail. Toute une vie à trier à mettre dans son ordre. Santons vieillots figurines oubliées visages effacés. Et ces livres de comptes qui paraissaient si lourds mais qui tombent en poussière. Se hâter tout ranger dans les cartons sans fond de la mémoire qui flanche. Puis tirer le bilan comme un rideau de fer. Avant de refermer la porte.
Il vient toujours, ce soir-là, dans une vie - le soir, le dernier soir, si longtemps redouté, si longtemps attendu sur la pellicule un peu floue.
On tourne tant de films, et toujours ce mot "FIN" sur la dernière image.
 

Publié dans Fables

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Magie des commencements

Publié le par Carole

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  Blois - rue Porte-Chartraine
 
 
À chaque rentrée scolaire, nous allions "chez Labbé". C'était alors une petite librairie perchée autour de ses escaliers tremblants, et tenue par de vieilles personnes empressées. Nous achetions des cahiers Clairefontaine que je choisissais toujours bleus, et des crayons Caran d'Ache pour peindre avec les doigts. Puis nous passions au comptoir prendre livraison des manuels de l'année, que l'ennui pâlirait bientôt, mais qui sentaient encore le papier frais glacé et l'encre de septembre.
Dans la rue Porte-Chartraine, en sortant, je levais toujours les yeux vers ces deux plaques bizarrement jumelles. Quel mystère pouvait donc bien unir le prestidigitateur et le chocolatier, pour que le destin ait choisi de les loger à leurs débuts à la même enseigne de banalité, dans la même maison grise ? Était-ce grâce au magicien qui l'avait précédé que les modestes étals du jeune confiseur avaient pu bâtir brique à brique ces usines miraculeuses qui répandaient sur la ville entière leur chaud parfum de chocolat ? Comment était-il possible qu'Auguste Poulain, ce monsieur si malin qui distribuait des images aux enfants et qui avait fait construire derrière la gare un château de magicien à tourelles, ait pu un jour habiter cette vieille demeure sombre ? Était-il vraiment imaginable, en outre, qu'un prestidigitateur en chapeau haut de forme ait pu se présenter au monde sous l'apparence d'un nourrisson vagissant ? Par quelle magie inexplicable et délectable tant de métamorphoses avaient-elles pu avoir lieu, et prendre naissance ici, précisément icidans cette maison ?
Serrant tout contre moi mes livres et mes cahiers au parfum de rentrée, attendant dans la rue ma mère qui bavardait avec les dames libraires, j'interrogeais les inscriptions. Car il y avait là-haut dans ces mots en miroir quelque chose... quelque chose qui me semblait bien terni et plus mort qu'une pierre tombale, mais dont je percevais pourtant très vaguement l'importance vivante, quelque chose qui se murmurait comme un secret presque effacé sur les vieux murs, et qui s'alliait mystérieusement au papier tendre des cahiers neufs, aux crayons bien taillés et rangés dans leur boîte, et même aux lourds manuels qu'on n'avait pas encore recouverts de cet impitoyable kraft qui allait tout gâcher. Quelque chose que je ne comprendrais que bien plus tard, quand je l'aurais perdu...
    Magie des commencements. 
 

Publié dans Blois

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Derrière le grillage

Publié le par Carole

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C'est elle. Non, ce n'est pas elle. 
On disait "la maison de la rue Alfred-Halou". Tout près du cimetière, posée contre les rails de la ligne Paris-Hendaye, elle n'était pas bien belle, elle n'était pas bien riche. Mais c'était "la maison de la rue Alfred-Halou". Mes grands-parents y ont longtemps vécu avec leurs cinq enfants.
Le jardin était rempli de glaïeuls. Une balançoire s'en allait dans l'air bleu, chargée de jeunes filles. Le linge claquait au vent sur le grand fil à linge, saluant les trains qui passaient en sifflant. 
C'était au temps où mon grand-père était chef de section à la gare de Blois toute proche. Où ma grand-mère avait des cheveux si noirs qu'on les aurait cru bleus. Et où je babillais, toute petite fille et poupée de mes tantes.
 
Maintenant on construit et on exproprie. On mure et on barbèle. Il faut bien que les choses se fassent. 
Elle n'est plus sur les plans qu'un problème à résoudre, la maison de la rue Alfred-Halou. 
 
Et, pâles, amaigris et fragiles, derrière le haut grillage, les souvenirs se massent et nous regardent, silencieux et grisâtres comme des prisonniers.

 

 

Publié dans Enfance

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Doute

Publié le par Carole

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Blois - rue du père Monsabre - octobre 2014
 
 
Il me plaît que ce soit justement ici qu'on ait installé cette étrange "fondation du doute". Car c'est à cet endroit, à cet endroit précisément, que se situe mon premier souvenir.
Je me vois toute floue mais c'est moi. Moi, ce moi toujours bien moi qui perdure dans le temps sans que jamais j'aie pu comprendre pourquoi il lui a fallu si souvent changer de visage et de voix. Montant ces marches grises qui me semblent si hautes. Tenant la main de ma jeune tante si blonde - celle qui dessine des Pierrots et des clowns, celle qui ne vieillira jamais, celle qui doit mourir et rester toujours jeune mais qui ne le sait pas, celle qui est si jolie et si gaie sous ses boucles. Elle me conduit là-haut, nous sommes seules immobiles au milieu du grand escalier, toutes deux côte à côte en équilibre sur les marches du temps. Je ne sais pas ce que nous faisons là, je ne sais de ce jour plus rien que cette image vague, mouvement arrêté sur la pellicule de mémoire.
C'est une image si difficile à lire, une image presque enfuie qui ressemble à ces photographies minuscules et pâlies que développe mon grand-père. Une image embuée de doute, où tremble l'avenir comme une boucle blonde.

 

 

Publié dans Enfance

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Romans de Toussaint

Publié le par Carole

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Cimetière de Blois
 
Souvent, à la Toussaint, en visitant ses propres morts, on visite un peu aussi, dans le vieux cimetière, en voisins, les inconnus des tombes anciennes qui s'écroulent.
On déchiffre les noms, on observe les dates à demi effacées, on compatit, on sourit ou on s'interroge, comme si on lisait un récit presque éteint venu d'un autre siècle. En peu de mots se tracent des existences que le présent livrait au hasard, mais que la mort a changées en destins - ou en romans, puisque tout roman est un destin posé sur le hasard des vies.
Thérèse... André... une jeune mère, un enfant emporté peu après... c'était en ces années où sévissait la tuberculose. On tourne lentement les pages de l'histoire sanglotante de ces jeunes vies souffrantes, de la douleur du veuf laissé tout seul...
Et là, ce chevalier qui a laissé son heaume, résolument tourné vers l'ouest, sous cet étrange bateau de granit retourné, quelle aventure a-t-il voulu commémorer ? Quel destin de conquistador ou de don Quichotte ? Hélas, la visière du grand homme ne s'ouvre plus que sur la pierre...
 
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On marche, on lit, on se raconte ces existences inconnues. On leur tend au passage un brin de cette éternité fragile qui ne dure que le temps du récit. Peut-être nous en sont-ils reconnaissants malgré tout, les pauvres morts bien oubliés ?
 
Les vieux cimetières sont des romans aux centaines de tomes-tombes, récits fanés-rouillés-brisés de tant de vies perdues. 
Page à page le temps les feuillette, les ternit, les recouvre, et bientôt les efface - comme tous les romans.

 

Publié dans Blois

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