J'étais cet après-midi en Brière, sur l'île Fédrun. Le vieux Briéron qui nous guidait sur l'eau, poussant le chaland sur sa perche selon la méthode ancestrale, nous a d'abord montré ces deux barques attachées tout près des siennes, au bout du long jardin étroit qui jouxtait son propre long jardin étroit.
— Les terrains sont longs et étroits... il fallait que toutes les maisons aient un accès à l'eau, et deux embarcadères... Parce que le Briéron vit du marais.
C'était la loi de l'île. Un accès pour tous, et deux barques par famille. Pour que tous puissent vivre. Puisque tous doivent vivre. On avait découpé l'île en autant de minces lanières bordées d'eau qu'il y avait de familles à nourrir. Et les vies se pressaient côte à côte, jardin contre jardin, embarcadère contre embarcadère, minces et fortes.
Il trouvait cela tout naturel, le vieil homme. Et très important. Le marais appartient à tous. La première chose à expliquer aux visiteurs arrivés sur cette île de leur monde barbare.
Elles m'ont semblé incroyablement belles, soudain, ces deux barques de plastique grisâtre, devant moi.
Carnivore
Nepenthes, Jardin des plantes de Nantes
Elle était si belle, elle était si cruelle. Carnivore.
Dans son grand alambic elle exsudait la mort
pour qu'en naisse la vie si pure si fragile,
la vie qui doit mourir pour nourrir d'autres vies.
Suspendue dans le vide à digérer ses mouches,
certaine que demain elle mourrait à son tour
pour que vivent les mouches qui se prendraient au piège,
elle était si légère et si vaine. Souveraine.
Car ainsi va la vie tournant sur elle-même
se dévorant toujours prise à son propre piège
et poursuivant encore son étrange périple.
Souveraine, si cruelle et si belle. Si fragile.
Un coup de colère dans le ciel bleu
— Un coup de colère dans le ciel bleu ! Et bientôt, la tempête... ? Oh, et... là-haut, ce nuage qui passe, n'est-ce pas la fumée du volcan sur lequel on dansait, tout à l'heure ?
— Tout est si beau, tout est si bleu, tout est si calme... Non, vraiment, ce n'est rien. A peine un pauvre éclair s'éteignant dans le ciel immobile. Une légère banderille plantée dans le vieux cuir d'un monde qui en a vu bien d'autres...
— Vous croyez ? Mais... mais les plus grands orages et les pires tragédies n'ont-ils pas commencé justement par un petit coup de colère, un inaudible coup de misère, un ridicule coup de tonnerre dans le grand théâtre du monde ?
L'image dans le miroir
C'était un vendredi. Un vendredi soir très ordinaire à Banalité. Je faisais mes courses dans un supermarché du centre-ville. Comme chaque vendredi soir. J'étais au rayon fruits et légumes, pour être tout à fait précise. Et même à la pesée, en train d'acheter des pommes. Des "Tentation", mes préférées. Oh, rien de vraiment luxueux, des [...]
Suite du récit à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com
La feuille ou l'ombre ?
Photographier, c'est choisir. Et choisir, c'est, déjà, photographier. Mais moi, je ne sais pas choisir...
Faut-il montrer la feuille ?
Ou lui préférer l'ombre ?
Si je choisis la feuille, l'ombre lui manquera... légère trop légère, futile trop limpide, la feuille tombera avant que vienne son automne. Mais si je choisis l'ombre, je penche je m'incline vers ce côté du monde où le noir règne en maître sur mes propres fantômes...
Choisir, il faut choisir... Oh, décider, se décider... Et moi qui voudrais tout, moi qui voudrais la feuille, toute vie palpitante, et son ombre avec elle, silhouette vacillante, troublante messagère sur l'étrange chemin...
Mais est-ce encore de photographie que je vous parle ?
La cigogne
Parc du Marquenterre - août 2014
C'était en août. Partout les oiseaux immobiles sommeillaient dans leurs grands bouquets d'arbres, se délassant de l'effort du printemps avant les longues peines de l'hiver.
Elle, cependant, lancée par on ne sait quel arc dans le grand ciel d'été, elle transportait encore son brin de paille. Corps tendu vers le but, âme taillée comme une flèche, elle ne pensait qu'au nid. Au nid à reconstruire à réparer ou à orner.
Au nid jamais fini son grand oeuvre de vie.
Si libre dans l'air bleu d'accomplir en esclave son rêve d'architecte.
Se faire semblable à la cigogne, ai-je pensé.
Le voyage de Blandine
Le lutin facétieux qui repeint en rêvant nos trottoirs et nos murs s'était joué à détourner, rue Clemenceau, le fameux logo du "Voyage à Nantes". Et, désormais, Blandine s'en allait son chemin, un peu trop haut, un peu trop loin, un grand pas de côté, un regard de travers, très joliment, légèrement, loin de la ligne verte, comme une signature vivante tout en bas d'une lettre.
Alors, tiens, maintenant qu'on l'oublie, qu'on vient de le garer, ce grand "VAN", sous les feuilles d'automne, je peux bien vous le dire à mon tour, et même vous l'écrire, sur ce trottoir de blog, ce que j'ai préféré, dans ce voyage à Nantes.
Ce que j'ai préféré, c'est...
...le voyage de Blandine.
Evidemment évidemment.
Mais aussi mais voici :
le voyage de Kévin
le voyage de Martine
le voyage de Sylvie
le voyage de Lucie
le voyage de Dorian
le voyage de Huan
le voyage de Mariam
le voyage de William
le voyage de Laura
le voyage d'Anita
Le voyage de Rachid
le voyage de David
le voyage de Fabienne
Le voyage de Nolwenn
le voyage d'Isabelle
le voyage des rebelles
le voyage infidèle
le voyage sentinelle
le voyage ménestrel
à Nantes comme ailleurs
et ailleurs comme à Nantes.
Car dans l'itinéraire que l'on propose à tous, le seul trajet qui compte est celui de chacun.
Le premier oeil
— Ce que c'est que cela ?
Un oeil. L'oeil ouvert d'une grenouille, sous la grille qui protège, au Jardin des plantes, le précieux "cératophylle émergé".
— Et alors ?
— Alors ? quand je l'ai aperçu, cet oeil, émergé immobile et pur de la couche de lentilles qui stagnait sur l'eau sombre, ouvert comme un trou de serrure sous les mailles serrées du grillage, il m'a semblé apercevoir le premier oeil. L'oeil qui jadis, le premier le tout premier, s'ouvrit sur le monde et s'arracha à la prison de l'ombre.
Le premier oeil, le premier regard du poisson impassible ou du lent saurien.
Le premier miroir dans lequel tout se refléta.
Car un jour il y eut l'Oeil.
Un beau matin du temps qui n'était pas encore le Temps, il y eut le Regard. Et le Tout, se penchant sur lui-même, animal fasciné, cessa d'être le Tout pour entrer dans le grand désordre qui devait un jour mener au Moi, à Dieu, au Sens, au Temps, et à toutes les énigmes que tissent, en un grillage implacable chaque jour plus serré, nos questions insolubles.
Une sans-dents...
(Le Monde en ligne - "Les décodeurs" - capture d'écran) "...et que nous veut-il dire ? S’écria lors une de nos sans-dents." La Fontaine, Les Lunettes) Les "sans-dents"... cela pourrait bien rester dans l'histoire comme la "brioche" de Marie-Antoinette : un mot peut-être tout à fait fictif, sans aucun doute surinterprété, et pourtant, pourtant... si révélateur - non du mépris d'un homme, bien sûr, fût-il l'un des plus puissants, mais de l'ordre féroce de tout un monde. Ce triste monde où certains ont des dents de loups qui rayent dangereusement les parquets vermoulus des salons à dorures, tandis que d'autres n'ont plus pour mâcher leurs malheurs et ravaler leur peine que des chicots noircis sur des gencives nues. Ce monde qu'on nous fait passer pour nouveau, mais qui n'est que le vieux monde d'avant, hâtivement revêtu d'oripeaux technocratologiques. "Les sans-dents" - c'est à coup sûr une bouchée qui mord, qui tranche et qui s'amuse, à belles dents bien blanches. On les voit, on les entend si bien, les moins que rien en foules, sans dents descendant l'escalier de misère, sans dents bredouillant leur détresse étouffée, sans dents sans dents descendant descendant jusqu'aux caves du monde... L'expression, répétée ce matin dans tous les journaux, m'a, bien plus simplement, rappelé une rencontre, que j'avais faite il y a des années de cela, dans le tramway. Une très vieille femme était assise devant moi, serrant son petit "caddy" de courses. Nous approchions de la station Haluchère, qui dessert l'un des hypermarchés de la ville. D'un seul coup elle s'est mise à me parler... bouillie de mots incompréhensibles, purée de sons brouillés... que voulait-elle me dire ? Elle m'a montré sa bouche où il ne restait que deux dents, devant, une en haut, une en bas (mais pas en face, comme on s'en doute). J'ai fini par comprendre. On s'habitue très vite à la langue des "sans-dents", quand on est un passager du tram. Au fil des ans elle avait perdu presque toutes ses dents, et elle n'avait pu ni les faire remplacer ni s'offrir un dentier. Dernièrement, elle était tombée en descendant à quai, et elle avait perdu l'une des trois dernières dents branlantes qui lui restaient encore. Ce qu'elle attendait de moi, c'était que je l'aide à descendre à la station Haluchère, que je lui porte son caddy et que je la soutienne, pendant qu'elle s'approcherait péniblement de la porte, afin qu'elle puisse se tenir fermement, quand il y aurait ce coup de frein si brutal du tramway qui s'arrête. Elle avait tellement peur de tomber de nouveau, et de perdre encore une dent... C'est difficile, pour les très vieux, voyez-vous, c'est un exploit, de descendre d'un tram. Je l'ai revue une ou deux fois ensuite. Puis elle a disparu. Evidemment. On sait bien où ils vont, les "sans-dents", quand ils descendent seuls la dernière marche.
Le poussin et son jardinier
Je suis repassée, tout à l'heure, près du poussin géant que Claude Ponti a affalé de sieste, le temps d'un été, dans notre beau Jardin. Il y avait longtemps que je ne l'avais vu, mais il dormait toujours dans l'herbe son doux sommeil de poussin gras.
Un jardinier s'affairait, le coiffait, le rasait, l'étrillait, le rhabillait de frais. Garganpoussin dormait toujours, arrondissant son ventre, indifférent à tant d'efforts patients. Et eux, dans l'allée, les badauds venus photographier la star, ils commençaient un peu à s'impatienter. N'allait-il pas bientôt partir et s'effacer, ce jardinier lilliputien ? C'était bien long, tout ça...
Que voulez-vous ? On le sait qu'il en faut, du travail et des travailleurs, des efforts et des nains, et des petites mains, et des petits destins, pour que les poussins géants de ce monde puissent dormir à l'aise leur bonne sieste au paradis des Grands.
Mais on préfère ne pas les mettre sur la photo, les humbles jardiniers d'Éden.
D'habitude.