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Légumes, poissons, et autres coquecigrues

Publié le par Carole

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    "Vous semblez les anguilles de Melun : vous criez davant qu'on vous escorche".
(Rabelais, Gargantua)
 
 
Je suis allée, comme beaucoup de Nantais, visiter au château l'exposition "Samouraïs".
L'art flottant de l'estampe (ukiyo-e) y était solidement représenté. J'ai été heureuse de revoir là quelques-unes des quarante-trois "Stations" d'Hiroshige que j'avais déjà admirées au musée Guimet. Mais ce qui m'a paru le plus remarquable, c'est ce triptyque d'Hirokage daté de 1859 et représentant "La grande bataille des fruits, des légumes et des poissons", vision comique et parodique des guerres et soubresauts qui marquèrent la fin du Japon féodal.
 
hirokage
 
C'était si touffu et drolatique que je me suis souvenue de Rabelais, et de la façon dont frère Jean, enfant du nouveau monde, découpe comme des poulets ses adversaires, derniers débris en armure du vieil univers féodal, qui fuient comme des ânes et crient comme des anguilles.
Et je me suis dit que, d'un bout de la Terre à l'autre, les mondes anciens finissent toujours par s'écraser comme citrouilles mûres, poires blettes et poissons pourris, tandis que volent en ricanant les coquecigrues. Et aussi que, de même qu'un fruit exquis ressemble à un légume succulent, les esprits libres partout se ressemblent, et nagent de conserve, souples et légers, dans ces eaux troubles mais fécondes où infuse l'humanité.

 

Publié dans Japonisme

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Titania

Publié le par Carole

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    Jardin des plantes de Nantes - 1er juillet 2014
 
 
On l'appelle l'"arum titan", ou le "pénis de titan". C'est la plus grande fleur du monde. Et l'une des plus rares aussi.
Elle vient d'éclore au Jardin comme dans une forêt de Sumatra. Cela n'arrive que tous les dix ans à peu près. Et cela ne dure que soixante-douze heures.
Il paraît que toute l'énergie de la plante est tendue depuis sa naissance vers cette floraison exceptionnelle. Que chaque année, se préparant, elle forme une seule feuille, qui se fane aussitôt, et que ce n'est qu'après avoir ainsi formé et détruit plusieurs feuilles, année après année, qu'elle peut nourrir de leur substance cette fleur merveilleuse. La plante retombe ensuite, épuisée, dans un sommeil de plusieurs années. Jusqu'à ce que, peut-être, une autre fleur puisse jaillir un jour, sur l'autel obstiné de ses feuilles sacrifiées.
 
La file d'attente était bien longue, et j'ai trouvé très émouvant de constater que tant de gens s'étaient déplacés pour voir une simple fleur. 
Quand j'ai enfin pu entrer dans la serre, je n'ai pas du tout senti l'infâme odeur de chair pourrie, destinée à attirer les mouches pollinisatrices, dont on m'avait parlé. Dans l'humidité lourde de cette forêt naïvement tropicale, la fleur m'est apparue, vivante, douce et paisible, comme un rêve du Douanier.
Et puis, dehors, en regardant ces photographes impatients et lourdauds cogner de l'objectif sur la vitre embuée, je me suis dit que cette fleur si belle et si étrange avec son nom bouffon et son parfum de désastre était peut-être plutôt le songe de Bottom. 
 
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Et que sa beauté née dans l'ombre épaisse d'une île impénétrable avait sans doute, au fond, besoin, autant que des insectes pollinisateurs attirés par son odeur, de notre présence grossière et de notre humble admiration, pour développer toute sa perfection.
Alors je l'ai renommée : Titania.
 

Publié dans Nantes

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