Récit du jour à lire ici sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com
Tête dure
Esplanade Camille Mellinet - Médiathèque Jacques Demy
C'est un homme qui n'a pas de corps. Rien qu'une tête sombre, sur un buste abîmé.
C'est un homme qui n'a pas de lèvres, qui n'a pas de regard. Rien qu'un crâne énorme et qui penche.
Coincé contre un drôle de rocher qui s'écaille en reflets, il reste là, à contempler le monde, comme un Prométhée rêveur qui aurait collé son front sur une vitre, la nuit, et ne verrait de la vie que son ombre.
Sa tête est lourde et dure, si lourde, si dure, qu'il faut pour la tenir ce coussin tout carré. A moins que ce ne soit pas du tout un coussin, ce carré de quatre fois quatre carrés, mais un problème, un carré magique par exemple, celui de Dürer pourquoi pas, dont les chiffres se seraient effacés, et qu'il lui faudrait retrouver.
Il est aux prises avec des questions qui l'écrasent, c'est clair, et sa pauvre tête si lourde n'a pas, comme celle de l'ange Mélancholia, la ressource de se poser sur la paume d'une main, sur un coude plié, sur un coin de chair chaude. Tête sans corps, homme tronc, front abstrait, aux prises avec tant de problèmes contre lesquels il a cessé de lutter, il tombe de tout son crâne. Face au vide qui l'attire, il n'y a plus que ce mur de mauvais béton mal recouvert de marbre, ce dernier rempart qui s'effrite et fait de lui un aveugle.
Je crois que c'est un homme de notre temps.
Les carpes
Rive de Loire - Anciens chantiers navals - Nantes
C'est aujourd'hui le 5 mai, le jour des Koïnoboris, ces manches à air en forme de carpes qu'on accroche au Japon dans les jardins, pour la joie des enfants. Il faut que je vous raconte la jolie légende que célèbrent ces poissons du ciel. La légende de la carpe qui avait remonté le fleuve...
C'était une carpe comme les autres, une carpe toute carpe, luttant dans le courant. Car telle était alors la vie des carpes, la dure vie des créatures du fleuve : remonter le courant, avancer en luttant, toujours combattre et sans fin s'évertuer contre le flot cruel. Aussi elle bondissait, cette carpe, elle luttait comme carpe, acharnée à survivre, contre l'eau qui la repoussait. Elle s'obstinait, recommençait, de toutes ses forces combattait, recommençait encore. C'était une carpe comme les autres, une carpe toute carpe, mais voilà que soudain les dieux du rivage la remarquèrent, et se mirent à l'aider et à l'encourager, car cette carpe-ci était – ainsi en avaient-ils brusquement décidé – de la race héroïque des carpes triomphantes.
Si bien qu'à son dernier effort, celui qui aurait dû la faire mourir d'épuisement, les dieux pris de pitié la changèrent en dragon. D'un bond de dragon-carpe elle atteignit alors la source, souple et légère comme une flamme. Elle était devenue éternelle, elle était maintenant l'enfant chéri du ciel.
Depuis, lacarpequiatantluttépourremonterlefleuvequelesdieuxl'ontchangéeendragon est le symbole du courage et de l'endurance obstinée, l'emportant sur tous les obstacles.
Il y en a tellement, de ces carpes du fleuve qui luttent et s'évertuent contre le flot contraire. Elles déploient toutes pour frayer leur route autant d'énergie que la carpe-dragon, peut-être même bien davantage. De temps à autre les dieux, qui aiment à faire les dieux, en sauvent une du flot et la changent en dragon. Mais les autres... que voulez-vous, elles sont si nombreuses à lutter... les autres, les dieux font semblant de ne pas les voir. Nul n'écrit leur légende, elles finissent épuisées et vaincues, échouées sur la rive, chair morte abandonnée, et nous nous écartons sans pitié quand nous rencontrons par hasard leur cadavre oublié pourrissant sur le sable.
Dans la foule obstinée des carpes toutes carpes, pourquoi choisir celle-ci, pour en faire un dragon scintillant bondissant vers les sources ? Pourquoi dédaigner celles-là, condamnées à se perdre dans le néant bourbeux ? Il y en a trop, bien sûr, de ces carpes du fleuve, mais... mais, tout de même, pourquoi celle-ci et jamais celles-là ? — Ah ça, personne n'en saura jamais rien, pas même les dieux du vieux rivage, qui vont, comme nous tous, au hasard des méandres. Mais taisons-nous plutôt, et laissons les enfants agiter dans le vent leurs grands koïnoboris colorés d'espérance.
http://www.mamalisa.com/?t=fs&p=859&c=85
Le coelacanthe
Cœlacanthe - Muséum de Nantes
Au Muséum de Nantes est exposé un coelacanthe. Je suppose qu'il y a d'autres cœlacanthes ainsi exposés dans bien d'autres musées. Il est banal, peut-être, notre coelacanthe d'ici, et, dans sa flaque de formol, il est sans doute un peu pâle, un peu raide, un peu risible, ce grand poisson des premiers jours du monde, nageant la bouche ouverte dans l'immensité bleue des profondeurs inaccessibles. Pourtant, j'ai toujours aimé le regarder voguer derrière sa vitre, vers le mystère des origines, dans ces abysses du temps où se sont séparés jadis les animaux terrestres et les animaux marins, ouvrant le dur chemin des humains conquérants. Et souvent j'ai rêvé de nager auprès du cœlacanthe, glissant au rythme de l'éternité – en accord, enfin.
Hier soir j'ai regardé cet incroyable documentaire qui passait sur Arte : http://www.arte.tv/guide/fr/20140503 Là, j'ai vraiment vu des hommes nager avec le cœlacanthe. Ce n'était pas un rêve, c'était une aventure due aux progrès immenses de la technologie, et à l'amour de la mer d'une poignée de biologistes fous. C'était la preuve qu'il ne faut pas désespérer, ni des humains ni des coelacanthes. C'était un premier pas vers l'accord. Car il arrivera, ce miracle : après avoir parcouru jusqu'au bout le chemin du progrès, nous, les humains, nous referons le voyage dans l'autre sens. Nous cesserons de lutter contre la nature, nous cesserons de l'asservir et de la détruire. Nous reprendrons, avec les armes du savoir, la route d'origine que nous n'aurions pas dû quitter. Alors, très loin en avant et très loin en arrière, nous nagerons aux côtés du cœlacanthe. Réconciliés. En accord, enfin. * * * Pour en savoir plus sur le cœlacanthe du Muséum de Nantes : http://lefenetrou.blogspot.fr/2014/05/le-clacanthe-du-museum-de-nantes.html http://www.museum.nantes.fr/pages/01-200ans/Bicentenaire/vitrine_mecanique4.htm
Hier soir j'ai regardé cet incroyable documentaire qui passait sur Arte : http://www.arte.tv/guide/fr/20140503 Là, j'ai vraiment vu des hommes nager avec le cœlacanthe. Ce n'était pas un rêve, c'était une aventure due aux progrès immenses de la technologie, et à l'amour de la mer d'une poignée de biologistes fous. C'était la preuve qu'il ne faut pas désespérer, ni des humains ni des coelacanthes. C'était un premier pas vers l'accord. Car il arrivera, ce miracle : après avoir parcouru jusqu'au bout le chemin du progrès, nous, les humains, nous referons le voyage dans l'autre sens. Nous cesserons de lutter contre la nature, nous cesserons de l'asservir et de la détruire. Nous reprendrons, avec les armes du savoir, la route d'origine que nous n'aurions pas dû quitter. Alors, très loin en avant et très loin en arrière, nous nagerons aux côtés du cœlacanthe. Réconciliés. En accord, enfin. * * * Pour en savoir plus sur le cœlacanthe du Muséum de Nantes : http://lefenetrou.blogspot.fr/2014/05/le-clacanthe-du-museum-de-nantes.html http://www.museum.nantes.fr/pages/01-200ans/Bicentenaire/vitrine_mecanique4.htm
Braille
Nantes - Anciens chantiers navals
Du braille... c'était bien du braille ! Sur ce mur, là, en face, dans l'allée interdite, là où jamais aucun aveugle ne pourrait se risquer, quelqu'un était allé cimenter un mot de braille.
Du braille, pourquoi ? C'était étrange d'être allé maçonner là-bas ce mot qu'aucun aveugle ne lirait, assurément, et qu'aucun "voyant" ne comprendrait, parce qu'il était écrit dans la langue des aveugles.
Un mot pour rien, alors, et bien de la peine et du ciment gâchés ?
Mais peu à peu, on comprenait... ce mot de braille... oui, peu à peu, on comprenait, en le touchant avec les yeux, ce que c'est que de voir avec les doigts...
Premier mai
Je ne sais pas pourquoi cette mouette muette enserrée dans son ombre
m'a semblé dans la ville comme un brin de muguet posé au bord du ciel.
Mais comme au premier mai se cueille le muguet en promesse d'été,
je vous offre ce mai,
grain de bleu, brin de blanc.
Qu'il s'envole l'oiseau prisonnier de la vitre.
Qu'il s'en vienne l'été qui toque à la fenêtre.
Et qu'éclosent vos rêves au bouquet de l'attente.