Rive de la Loire - île Beaulieu à Nantes
La mort l'avait saisi, il tombait lentement, seul et silencieux, tordant échevelé ses bois de cerf vaincu.
Et de l'autre côté, tant de vies empilées dans ces tours toutes nues, qui se cherchaient un nid. Ces voitures qui filaient, insectes de la rive, comme sur une paille. Ce grand train tout là-bas, s'avançant vers le pont, avec son poids d'humains à transporter plus loin.
Sous le ciel s'écoulait le bleu cru comme sang des fleuves éternels.
Ainsi on vit, ainsi on meurt. Au bord de l'eau tout comme ailleurs.
C'était hier place du Commerce.
Il avait apporté son piano.
— Qui donc le lui avait déchargé là ? un nuage encombré d'arcs-en-ciels ? un avion qui jouait sur les portées d'en-haut ? un grand sous-marin mauve égaré dans la ville ? un camion cahotant rempli d'aubes et d'oiseaux ?
Ou bien l'avait-il emporté sur son dos, coquillage où mugit l'horizon, comme on emporte sa maison ?
— Peu importe... il avait apporté son piano, il jouait au milieu des badauds indifférents. C'était très beau, c'était très triste.
— C'était joyeux, c'était idiot !
Je ne crois pas que la musique puisse sauver le monde. Mais qu'elle puisse sauver de ce monde et de sa folle indifférence tous ceux qui croient en elle, cela, oui, je le crois.
Et c'est idiot, et c'est très beau.
(link vers Pierre Weiss)
Je l'ai d'abord entendu sans le voir. Enfin j'ai distingué le petit animal. Un campagnol aquatique, je crois. Mouillé de bleu, griffé de vagues, il se confondait presque avec l'eau. Mais comme il y allait, comme il ramait, comme il luttait, comme il fonçait contre le flot.
Il faut tant d'énergie pour se labourer un chemin dans les rivières de ce monde.
Bientôt je l'ai perdu de vue. Je l'entendais encore de loin, pourtant, s'efforcer et ramer. J'ai eu l'impression d'avoir rencontré bien plus qu'un petit rat jeté dans le courant : l'élan même de la vie, absurde et bouleversant.
Je l'ai saisie tout au bord de la Sèvre, à Rezé près de Nantes.
J'ai d'abord cru que c'était une angélique, étoile de la terre, fleur de doux confiseur et d'herboriste sage, et je l'ai admirée.
Puis je me suis demandé si ce n'était pas plutôt une grande ciguë, scorpion dressé dans l'herbe, âpre fleur de la mort, triste bourreau du sage - elle m'a fait un peu peur.
Si bien que je me suis arrêtée, hésitante. Comment savoir ?
Mais à l'abeille, qui fait butin de tout, active et bourdonnante comme l'avenir, il importait bien peu que la fleur soit un ange, ou qu'elle soit un démon. Indifférente, elle travaillait, et de tout faisait sa pelote, vendangeuse obstinée écrasant les poisons sous le poids des parfums.
Il faut aux ruchers de ce monde autant de ciguë que d'angélique pour faire couler le miel.
Alex suit les lignes du doigt, c'est comme ça qu'on fait pour lire sans se tromper. Et lire un journal... ah, c'est dur... ! En fait, c'est la première fois qu'il essaie de lire un journal, qu'il essaie vraiment, alors il a peur de se tromper, encore plus peur de se tromper que d'habitude. Il suit les mots du doigt, il va sans se presser, attentif à comprendre [...]
Suite du récit à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com
C'était un très bel arbre, un arbre immense, un arbre creux
Lové dans son vieux corps, niché dans ses secrets.
Je me suis penchée sur sa nuit comme sur un terrier
Pour voir un peu en lui et regarder en moi.
Dans le tronc du vieil arbre, j'ai trouvé sans surprise :
Un champignon moqueur qui me tirait la langue.
Un coin de mousse bleue et d'espérance verte.
Des feuilles mortes au vent et de la boue du temps.
Une bouteille vide, vestige de la soif.
De la poussière d'écorce, de la sève encore vive.
De la lumière grandie et des ombres enfouies.
Des brindilles de nuit tressées comme des nids.
L'entrée d'un souterrain qui remontait les heures
Comme une horloge en rêve qui déplierait son coeur.
C'était un très vieil arbre, lentement creusé par la vie.
— Et le sel ? où il est, le sel ? hein ?... ça manque de sel, tout ça... ! Tout manque toujours de sel, aujourd'hui... Où il est donc, le sel ? Passez-moi le sel !
— Oh lui, avec sa manie du sel...
— Et la bonne femme, toujours à le mettre, elle, son grain de sel... Mais il est où, à la fin, ce sel ? passez-moi donc le sel ! [...]
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Maisons, île Feydeau - Nantes
Sur les quais enfouis de la Loire et de l'Erdre, sur les îles asséchées posées sur le sable des heures comme des barques oubliées, les maisons penchent. Antiques, nostalgiques, elles s'inclinent, cherchant l'eau disparue que leurs murs entendent encore battre. Appesanties par l'âge, elles s'appuient pour ne pas s'écrouler sur l'épaule de leurs voisines lasses et tout aussi courbées.
Un peuple de vieilles demeures voûtées se tenant par l'épaule. Une foule où celles qui vont tomber retiennent celles qui tombent. Cela tient ferme finalement.
Aujourd'hui, un petit conte. De rues et de vertus, de mots qui passent et qui racontent.
Au début était Espérance, la douce, la céleste, la toute bleue, qui rêve dans le ciel, que les nuages entraînent :
Hélas ! La vie la dure vie étant ce qu'elle doit bien se résigner à être, Espérance pâlit, Espérance gémit. Il fallut lui adjoindre Patience. Patience la fidèle, Patience la toute bonne, l'ange qui veille et qui console :
Mais la vie l'âpre vie étant décidément ce qu'elle s'acharne à être, Patience s'usait vite, Patience s'épuisait, et l'on dut embaucher pour l'aider la rude Persévérance. Persévérance la douloureuse et la crucifiée, Persévérance la rugueuse la lutteuse la courageuse, qui toujours se redresse et toujours ressuscite :
Alors, s'appuyant sur l'aile blanche de Patience et sur la large épaule de Persévérance, Espérance put vraiment commencer à grandir, à bourgeonner et à feuillir, à surgeonner et à multiplier :
Ainsi put enfin naître Réussite. Qui jamais ne brilla, jamais ne bling-blingua. Modeste Réussite, haute et solide mais déjà prête à s'effacer. Perchée comme un vrai nid au sommet de la haie pour que puissent à leur jour s'envoler dans le vent les lendemains qui chantent :
J'ai aimé parcourir ces rues humbles et tranquilles, à l'écart de la ville, ces rues calmes et bavardes contant la vieille histoire d'Espérance, de Patience et de Persévérance, lentes vertus du Temps, qui s'en vont leur chemin au rythme de la Vie.
Si souvent nous bousculent Impatience et Urgence, dans les décombres du Présent, que nous pourrions les oublier, tandis que nous courons, exténués, affolés, déjà vaincus.
Au 43 on tangue on penche. A bâbord on s'affale à tribord on remonte. On s'en va de l'avant comme on marche en arrière. On va craquer c'est sûr à moins qu'on ne se redresse. On tremble on se scoliose on se lézarde on dégringole on se tord on s'accroche. On se tient droit tout de travers.
Au 43 qui me ressemble.