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La lune, le doigt, et l'idiot qui regarde

Publié le par Carole

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Il y a longtemps que, sur la Place Royale, la ville de Nantes, blanche divinité de la fontaine, a perdu son trident. C'était un fier trident, un vrai trident de dieu des mers. Il avait même survécu aux bombardements de 43. Mais, voyez-vous, depuis tant d'années on s'amusait à le voler... Alors, à mesure que le port s'enlisait, mourant, on l'avait remplacé de plus en plus lentement, ce fier trident... Et un jour on a tout à fait arrêté. La statue est restée ainsi, absurde, avec son index interrogateur et démuni, maladroitement levé vers le ciel. Nantes avait définitivement cessé d'être la fille de Neptune.
 
Je traversais la place par un soir clair et froid, un beau croissant de lune se balançait dans le velours profond de l"heure bleue". C'était pitié de voir la statue désarmée montrer en vain l'astre aux badauds, qui ne regardaient pas là-haut. Si seulement elle avait eu encore son trident...!
J'ai repensé à cette phrase que les hommes politiques et les journalistes ont pris l'habitude de citer sans cesse, et qui a succédé, pour orner les discours, à la fameuse cerise désormais un peu flétrie : "Quand le sage montre la lune, l'idiot regarde le doigt".
Je me suis dit qu'il avait bien raison, l'idiot, de s'intéresser d'abord au doigt qui montre la lune. Car c'est le doigt qui nous dit ce qu'il fera pour nous de la lune : astre des mers aventureuses et des marées prodigieuses s'il s'arme du trident d'un dieu – virgule lointaine oubliée dans le ciel s'il n'est que l'index maladroit d'une vieille statue dépouillée.
Quand on lui montre la lune, si l'idiot observe d'abord le doigt, désarmé ou fourchu, qui la lui désigne, c'est qu'il est sage, au fond. C'est qu'il est de la confrérie de Nasreddin Hodja et du prince Mychkine. 
Bien sûr, allez-vous dire, dérober la panoplie de Neptune, cela ne suffit pas à faire d'un gladiateur un dieu. Mais, croyez-moi, l'idiot, ce sage de tous les temps, s'il se méfie du doigt, saura bien se méfier aussi du trident.

 

Publié dans Nantes

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Les joueurs de cartes

Publié le par Carole

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Une reproduction des Joueurs de cartes de Cézanne trônait chez mes grands-parents, au-dessus du piano droit et de la petite table de marqueterie qui jouait "La donna e mobile" lorsqu'on en soulevait le couvercle.
Ce grand tableau sombre me fascinait. Il me semblait toujours en le regardant que, si je pouvais en approfondir le sens, je connaîtrais le secret. Le secret de la vie, celui que les adultes me cachaient. Mais jamais je n'y parvenais.
Je les ai revus tout à l'heure dans la rue, mes Joueurs de cartes, encadrés dans la vitre d'un bar. Deux hommes luttant avec les cartes truquées du destin, près de la bouteille aux illusions. Perdus dans les ombres qui passent et les reflets qui fuient. Déjà presque effacés. Mais oublieux de tout, absorbés dans leur jeu, comme s'ils ne savaient pas qu'ils avaient déjà perdu la partie tous les deux. 
Cela n'avait aucun sens. Et pourtant c'était beau, fascinant, bien digne d'être peint. 
Il n'y avait pas, il n'y avait jamais eu d'autre secret.
 
 

Publié dans Fables

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Peluches et mandarine

Publié le par Carole

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Je n'aurais pas dû prendre la photo. Je ne voulais pas la prendre. C'était comme d'entrer chez quelqu'un par effraction, comme de lui voler son petit chez-soi, au mendiant qui s'était posé là pour un soir, et qui était sorti, juste un instant, laissant à la garde des passants son sac, sa couverture et son duvet.
Je n'aurais pas dû. Mais voilà : il y avait sur la marche, comme au bord de son lit, ces deux peluches toutes aplaties d'usure et de caresses, grises d'âge et tendres d'enfance. Et cette mandarine couchée entre elles deux, luisante comme une petite orange de Noël.
J'ai pensé à un père - ou une mère - à qui on aurait retiré ses enfants, et qui aurait placé là, en effigie, leurs deux poupées. 
J'ai pensé à un être encore jeune, se souvenant de son enfance et lui offrant son pauvre Noël à l'orange.
Je ne savais pas.
Mais je voulais vous dire : celui qui a aimé un enfant, peut-on oublier de l'aimer ? Celui a pleuré pour son enfant, peut-on le laisser pleurer ? Celui qui se souvient d'avoir été petit, peut-on le laisser dormir seul dans le froid ? Celui qu'une mère a bercé, peut-on l'oublier dans la rue ?

Publié dans Fables

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Regarde le ciel

Publié le par Carole

 
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    Tant de messages autour de nous, sur les affiches ou sur les murs, tant de conseils, sages ou fous, sournois appels de commerçants, traces oubliées par les jours, injonctions de passants anonymes... 
— Regarde le ciel..., me disait ce mur gris.
— Oui, lui ai-je répondu, oui, regarde le ciel... Regarde le ciel quand tu traverses le chantier, parce qu'il faut toujours regarder un peu plus loin, un peu plus beau. Regarde le soleil, quand tu prends l'escalier de ciment. Regarde l'arbre, quand tu grimpes à l'échafaudage. Et regarde la mer, quand il fait gris sur le trottoir. Mais regarde aussi le chantier, regarde l'escalier, regarde le trottoir, regarde la poussière.
    Regarde celui qui te dis de regarder le ciel. Et regarde celui qui ne voit plus le ciel.
   Regarde tout ce que tu vois, ciel, objets ou passants, toujours, comme s'ils étaient toujours tout près de toi. Comme s'ils avaient toujours quelque chose à te dire. Ou plutôt, comme s'ils étaient, toujours, eux-mêmes le message.
    Regarde.
 

Publié dans Fables

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