Pour mes amis selommois, j'ai publié sur le site "calaméo" l'ensemble des articles de mon blog consacrés à Selommes, enrichis de quelques photographies supplémentaires.
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Note : pour ceux qui utilisent une tablette numérique, ou ne disposent que d'un petit écran, il peut être plus pratique de choisir la présentation "diapositive" (présentation page à page et police de caractères times new roman 14 assez épaisse) :
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Tous mes remerciements à Ingrid Jorgensen, responsable de la médiathèque Beauce et Gâtine, et à son assistante Lysiane, ainsi qu'aux habitants de Selommes.
Bonne lecture !
Les fenêtres
C'est comme ça, la rue : des gris obstinés de crasse, résolus dans l'obscur, le décrépit, le triste - de sombres façades à l'enseigne de mère misère - et puis, tout à côté, des murs joyeux, des fenêtres à rideaux festonnés, des bouts de Versailles sur le balcon, de la lumière qui danse au long du séjour traversant, et du jaune, du rose, du saumonné, pour baigner dans le monde comme une truite dans la rivière.
Des murs et des balcons qui préfèreraient ne pas frayer ensemble, contraints pourtant à se serrer ciment contre ciment, gouttière contre gouttière, flanc contre flanc, collés, pressés, poussés pour le même voyage, comme les usagers usés des transports en commun... gardant tout de même chacun son quant-à-soi - front levé, regards figés, évitant de lorgner le voisin.
C'est drôle que les fenêtres aient des visages - qu'elles soient comme ces gens qu'on croise, quand on va son chemin pressé, dans la foule qui passe.
Dire qu'on aurait pu ne pas lever la tête... dire qu'on aurait pu, dans le tumulte de la rue, oublier de se demander quelles vies, derrière ces vitres, comme malheur et bonheur - ou comme bonheur et malheur -, si étroitement se côtoient, silencieuses, là-haut, dans l'ombre des fenêtres closes...
Le cercle
Les saisons passent et reviennent, nous rappelant sans bruit, si nous y prêtons garde, que seul le temps humain, cette illusion de nos pensées trop courtes et de nos vies précaires, est linéaire. Ainsi, dans les parcs de la ville, près des rues tristes où nous allons, passants fatigués, vers nos vies qui s'égarent, les massifs défleuris, desséchés et fripés, se parent, d'un même élan, de fruits, de feuilles mortes et de bourgeons.
Sur cette fleur encore splendide et dorée par le soir, une petite tache blanche, imperfection à peine visible mais appelée à grandir, posée par l'été mourant sur l'un des pétales encore vifs, annonçait déjà le déclin, l'âge et l'hiver.
Etait-ce un souci, un cosmos ou plutôt un petit tournesol rouge, tournant comme le monde, saignant comme les heures passées ? - je n'aurais su le dire. C'était simplement une fleur marquée pour la mort, tout aussi bien que les chênes qu'on abat aux grands bois de l'histoire.
L'hiver avait déjà posé sa main pâle et glacée sur son destin qui s'inclinait. Pourtant, alors que je la photographiais, une abeille d'automne, pure et luisante goutte de miel brun, est venue, comme au printemps, butiner - lutiner - son coeur vivant, ardent comme un soleil d'été.
Et le temps tout entier, le temps du monde, tenait en cercle, dans le tournoiement des saisons, de la fleur et de l'abeille sage.
l'accordéoniste
Je marchais dans les allées du parc, quand j'ai entendu le son d'un accordéon.
La musique trébuchait un peu, cherchait, s'exerçait. C'était l'effort d'un apprenti, d'un débutant, cela aurait pu être le jeu d'un enfant, ou d'un adolescent... mais quelque chose d'imperceptiblement timide et honteux, qui n'avait rien d'enfantin, se glissait dans l'élan maladroit des notes - quelque chose de tendre et de profond qui s'en allait comme un mince filet de nuage vers le ciel moutonnant, si tiède encore, de ce dernier après-midi d'août où le vent descendant, d'un coeur léger, les pentes de l'été, poussait doucement ses troupeaux vers les vallées d'hiver.
Sur les chemins de la roseraie, qui tournent comme le temps et sinuent comme la vie, j'ai suivi la voie hésitante que me traçaient les sons.
Et j'ai enfin aperçu l'accordéoniste.
C'était une femme déjà âgée, aux cheveux gris de brume, probablement une habitante des immeubles voisins, qui était venue s'exercer là, discrètement, cachée parmi les fleurs du parc immense.
Souvent, on attend qu'une vie soit écoulée pour accomplir, quand la saison est passée, et que les jours déclinent, un rêve d'autrefois.
C'est sans espoir, et beau pourtant, comme le dernier point de suspension s'ouvrant à la fin d'une phrase qu'on croyait close.
Cette femme était, je crois, dans le jardin qui se fanait au dernier soleil de l'été, une rose d'automne, qui aurait eu un désir de printemps.