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La source

Publié le par Carole Chollet-Buisson

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La Source - Lavoir sur la Houzée 
 
"Quel est le berceau de la famille Ronssart ? Est-ce le Danube, le beau Danube bleu, comme on l'a cru jusqu'à présent ? [...] Est-ce au contraire le chétif mais vendômois ruisseau de La Houzée, qui avait trouvé la force de porter, de Selommes à Areines, onze moulins, dont le dernier, situé entre Baumai et Areines, s'appelait dès le milieu du XIe siècle Ronzart, sans le faire exprès ?"
(Jean Martellière, Bulletin de la Société archéologique du Vendômois, 1913)
 
 
Mon arrière-grand-père Ferrand avait longtemps travaillé dans le dernier moulin de la Houzée, sur la route d'Areines, à l'entrée de Vendôme.
Un jour - il faisait si beau, tous les reflets de la mémoire palpitaient dans l'eau trempée de branches et d'oiseaux - il a laissé tourner la roue dans son grand fracas clinquant d'arcs-en-ciel, il a posé sur l'échelle ses sacs de grain et de farine, il a remonté tranquillement la rivière, jusqu'à la source au cresson frais. Et il est revenu ici, chez lui, à Selommes où ses ancêtres avaient enraciné leurs vieux os dans la terre.
En ce temps-là, pour rentrer chez soi, il suffisait presque toujours de suivre le cours d'une rivière, d'un ruisseau minuscule. Les vies étaient tracées dans les villages, les champs, les prés, les bois, les montagnes ou les mers, en beaux dessins sans fioritures qui avaient forme de destin, par les fées noires ou blanches qui dansaient chaque nuit dans les landes.
 
Combien parmi nous peuvent encore le prendre, avec la simplicité de mon arrière-grand-père en ce matin d'été, le chemin d'herbe humide et de petits cailloux moussus qui remonte à la source ?

Publié dans Le village : Selommes

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La Comédie - Paris, jardin des Tuileries

Publié le par Carole

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Cette statue du jardin des Tuileries me semble avoir beaucoup à nous dire, non seulement de la comédie, qu'elle incarne, mais de l'art, qu'elle représente si noblement, en actrice accomplie qu'elle est.
Faible, infirme en apparence avec son bras tranché, capable pourtant de susciter l'envol, par la puissance d'un regard posé sur le monde, et par la profondeur que lui donne le masque - cet instrument, quel qu'il soit, qui permet de ne plus être seulement soi.

Publié dans Fables

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Le lavoir

Publié le par Carole

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          Lavoir - Selommes - lieu-dit "La Source" 
 
 
Le bassin du lavoir a un petit air romain avec ses deux colonnes à fresques de lichen, dont le reflet frissonne, embué d'ombres et de feuilles mortes.
Et peut-être, après tout, nous vient-il des Gallo-Romains.
Car il y avait là, autrefois, autour des sources de la Houzée et de ses minuscules affluents, de vastes villas dont les pierres appareillées ont fourni à l'église l'étrange décoration de son mur d'abside. Et dans les champs on trouve régulièrement sous la charrue des morceaux de céramique sigillée.
Bien avant ces Romains, qui n'étaient sans doute ici que de bons Gaulois romanisés, il y avait eu ces hommes anciens et mystérieux qui avaient placé leurs morts réduits en poussière sous la protection des dolmens écroulés, et qui avaient taillé ces grands silex aigus comme des os, irrigués de veines sombres comme du sang rouillé, qu'on trouve en si grande abondance ici, couchés en terre près des belles sigillées, qu'on en a rassemblé une collection, cachée dans un petit musée poussiéreux, toujours fermé, à Champigny, le village voisin. Peut-être est-ce la collection de monsieur Dessaignes, le philanthrope, le grand homme du département, le disciple de Lavoisier...
Le village est comme la mémoire : les époques s'y imbriquent et s'y superposent, sans qu'aucune fasse disparaître la précédente, dédaignant les lois du temps linéaire qui voudraient que le présent abolisse le passé.
Et sur l'eau calme de la Houzée, tant de reflets passent en glissant, miroitant tous ensemble, dans les plis que trace le courant retroussant le flot lent qui descend de la source comme un tissu moiré.
Depuis longtemps on n'utilise plus le lavoir. Il était presque en ruines quand, dans les années 70, quelques femmes vêtues de noir et venues d'un autre petit village, très loin, tout près, au Portugal, en ont repris quelque temps l'usage, avant d'acheter, comme tout le monde, des machines à laver.
Puis on l'a restauré. Il est aussi triste et doux maintenant qu'une page de Gérard de Nerval, avec son air antique et sa charpente rénovée, déjà mangée de capricornes.
Un jour, je me souviens d'avoir demandé à ma grand-mère si elle avait lavé son linge au lavoir, dans sa jeunesse. Elle m'a regardée étonnée, presque offensée. "Ah non ! heureusement non ! je le donnais à laver !"
C'était si dur. Une plus pauvre le faisait. Je sais pourtant que, chez elle, ma grand-mère se chargeait aussi, au besoin, de faire bouillir dans sa lessiveuse le linge des petites lessives, puis de le rincer avec l'eau qu'elle tirait à la pompe. Et c'était dur aussi. Moins tout de même que les grandes lessives du lavoir qui cassaient l'échine et faisaient les mains raides et glacées.
Ma mémoire est comme l'eau lente du vieux lavoir, de reflet en reflet elle glisse en rêvant... J'ai connu la dernière lavandière de la région. C'était à Vendôme où j'allais au lycée.
 Le soir, il fallait attendre longtemps le car, sur le Champ de foire. Aux jours de fête foraine, on essayait un tour d’autos tamponneuses, on achetait une barbe-à-papa épaisse et sirupeuse, ou on tentait sa chance à la loterie qui offrait des peluches et des porte-clés à ses heureux gagnants, mais la plupart du temps, on n'avait rien à faire que s'enuyer et errer sur la place. Souvent, j’allais jusqu’à la rive du Loir, en contrebas, et je passais une heure, penchée sur le parapet, à regarder.
En face, le vieux lavoir était presque toujours vide. Parfois, pourtant, une vieille était là, toujours la même, qui frottait lentement de vieilles nippes grises et noires, et des draps flottant sur l’eau sombre, tout blancs, comme des corps abandonnés. La vieille laveuse était semblable à toutes les pauvres femmes qu’on voyait trottiner dans la ville, à toutes ces vieilles du faubourg Saint-Bienheuré ou de la rue Ferme, les cheveux blancs dans un foulard à fleurs, les bas gris sous une jupe noire. Le manteau brun jeté par-dessus tout cela recouvrait mal la bosse de son dos brisé. 
Elle restait longtemps, longtemps, penchée sur son linge, à frotter et à battre, faiblement, lentement, agenouillée, et si courbée qu’on aurait cru qu’elle allait piquer du nez.
L’eau s’en allait doucement et la nuit tombait peu à peu. Elle restait là, penchée, presque immobile, ramassée sur ses genoux fatigués, comme elle aurait prié.
Elle avait connu d’autres temps, les femmes qui parlaient haut et se chamaillaient, de fortes travailleuses qui frappaient les battoirs, usant les savons et le bleu, les manches retroussées sur leurs bras nus, avant de s’en retourner d’un bon pas, la hotte sur la hanche.
Et voilà qu’elle était la dernière, une vieille épuisée, vacillante, oubliée, lavant de ses mains raidies, dans l’eau boueuse et froide, si froide, son pauvre linceul raccommodé.

Publié dans Le village : Selommes

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La route

Publié le par Carole

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Après la pluie, on jette un coup d’œil au-dehors : au miroir de ses flaques la route est bleue comme rivière. Au flanc de la vallée elle chemine en ses méandres, doucement chatoyante.
On pourrait quitter le village.
On pourrait suivre ce ruban qui tremble en s'étirant comme un beau fil d'Ariane.
On pourrait s’en aller très loin, peut-être jusqu’au ciel, en passant par les bancs de nuages.
Vers les villes immenses où palpite le temps.
Vers les montagnes ou vers les mers
Vers les déserts ou vers les îles.
 
Ou même nulle part, juste aller au hasard, en se laissant porter par les routes si bleues où l’on irait comme poissons luisants, tout doucement, entre les vagues.
 
Et puis on referme la porte, il n’y faut pas songer.
L’essence est chère et tout ça c’est du rêve.
C’est ici qu’est la vie.
Et puis voilà.

Publié dans Le village : Selommes

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Les fils

Publié le par Carole

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Au village, c’est comme ça : les fils électriques ou téléphoniques pendent partout dans les airs, traversent les rues, se croisent, s’emmêlent, et se recroisent encore, s’égarent dans les champs, se promènent sur l’horizon, pour reparaître au flanc des fermes, puis s’en aller encore, très loin, là-bas, on ne sait pas bien où.
 
Par ces fils entrent les voix du monde et les images du lointain.
Par ces fils le village est relié à l’univers.
 
Ils se balancent au vent comme les cordes à linge tendues dans les jardins, comme les fils de fer des vergers palissés.
Des arbres grandissent à leurs flancs de ciment ou de bois, et se couvrent de lierre.
Les oiseaux qui s’y posent, confiants, y suspendent parfois, dans des nids barbelés de paille et recousus de mousse, des portées d’oisillons qui s’envolent en chantant.
 
Quand la tempête les abat de son souffle de bête, on les renoue les uns aux autres, on les retend avec soin sur leurs mâts.
On pourrait bien les enterrer, tous ces fils, mais, on ne sait pas pourquoi, ça fait plaisir, au fond, qu’ils soient là, bien visibles.
Qu’ils soient, au-dessus des maisons et des routes, les signes évidents de la vie battant son pouls rapide, les veines et les vaisseaux irriguant le village comme un petit morceau du corps immense et chaud de l’univers.
Que sur leurs longs cordages se hisse la grand voile de l'invisible espoir.
Et que là-haut se tende le grand filet maillé de ciel qui retiendra sur la terre le village.
 
 
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Publié dans Le village : Selommes

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Le souterrain

Publié le par Carole

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Il s’ouvre noir et fascinant dans le jardin du presbytère. On y descend par des marches glissantes. Il faut pousser la grille chargée de rouille et de toiles d’araignée. Et puis descendre encore, vers un sombre boyau.
Sous les voûtes humides on avance avec précaution,  jusqu’à une large porte de bois. On ouvre les lourds battants grinçants, le frou-frou lent d’un vol de chauve-souris ouvre la voie de l’ombre. Et l’on s’engage dans le chemin obscur, celui qui va, par les entrailles humides de la terre, vers l’autre monde… jusqu’à ce grand éboulement, bientôt, qui interdit d’aller plus loin…
 
Dans le souterrain on a trouvé jadis des sarcophages d’os moussus, remplis de cailloux humains délavés par les pluies et couchés dans des linceuls de salpêtre.
Des morts errent encore sous les voûtes en silence. Leurs larmes suintent, en gouttes lentes et amères, aux  parois de tuffeau.
 
Ceux qui l’ont creusé sont les mêmes qui ont fortifié et cuirassé la vieille église de son large donjon. La terreur avait placé dans leurs paumes de paysans exténués la lourde hache et la bêche au manche rude.
En ce temps-là, les vikings remontaient la Loire. Des brigands patrouillaient sur les routes. La famine changeait des hommes en chiens. On vivait entouré de menaces comme gibier au fond des bois, il fallait pour survivre se creuser des terriers avec ses mains griffues. On se réfugiait dans ce trou comme au creux d’une grotte, on dessinait sur les parois la détresse et l’espoir, au charbon résineux des torches. On y cachait ses morts et ses trésors aussi, près du cœur de la terre.
 
Des savants ont expliqué que le souterrain conduisait au prieuré voisin. Peut-être même, de village en village, s’en allait-il jusqu’à Vendôme, là-bas, par de lents méandres de rivière enfouie. Ou beaucoup plus loin encore.
Qui sait, du reste, s’il ne menait pas partout ? Qui n’a rêvé de franchir l’éboulis, de poursuivre l’exploration, pour retracer en bas les allées ténébreuses du Labyrinthe antique et infini ?
 
Aujourd’hui, à demi oublié, le souterrain se tient au-dessous des maisons, des jardins et des champs, comme les racines sous l’arbre. Et la vie se repose confiante sur ses voûtes écroulées.
Ainsi, dans les pays de mines, des villages sont posés sur le vide, comblé de douleurs et de rêves, des boyaux du passé.
 
Angoisses archaïques.
Ossements des vieux morts.
Terreurs des hommes devenus bêtes.
Amour des profondeurs où dorment les secrets.
Désir d’aller plus loin que l’interdit, de s’enfoncer par les méandres au ventre de la terre.
 
Sur tout cela, profondément enfoui, qu’enferme le souterrain, le village lentement s’est posé, tranquille et somnolent, comme un oiseau sur son nid.
 
Parfois, pourtant, un enfant pousse la vieille grille, descend par les marches glissantes, et s’en va, frissonnant, à la rencontre de l’obscur.

Publié dans Le village : Selommes

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Eté aux couleurs du village

Publié le par Carole

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Eté sur les joues rouges des doux coquelicots.
Eté au duvet blond des avoines mûries.
Eté dans le grand ciel lavé des sources bleues.
Eté dans le vent fou habillant les draps blancs.
Eté sur le clocher frappant d’or le vieux coq.
Eté sur l’épi jaune qu’on fauchera demain.
Eté dans les pluies noires s’en allant vers l’automne.
Eté froissant d'orages les drapeaux bleu blanc rouge.
Eté dans les glycines pleurant des larmes roses.
Eté dans l’appel gris des tourterelles au soir.

Publié dans Le village : Selommes

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Le château

Publié le par Carole

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Quand j’étais enfant, c’était un tas de pierres où l’herbe poussait dru. On y menait paître les bêtes, et les poules y couraient. La Houzée toute verte se coulait dans ses ruines comme une couleuvre longue.
On l’appelait alors le château de Puitfonds. Il était plein de lézards et de salamandres, et de mystères profonds que ruminaient les vaches.
 
Plus tard on a reconstruit une tour et un bout de donjon avec les pierres moussues. On a planté des saules et posé tout autour un long filet de barbelé pour éloigner les bêtes. Entre ses rives bien fauchées fleuries de grands bouquets de marguerites, la Houzée a reflété très pure sa silhouette de conte. On y a organisé des fêtes comme au château du bois dormant, et on s’est mis à l’appeler le château de Pointfonds.
Il paraît que c’était écrit ainsi dans les livres qui conservent intacte la mémoire des vieux noms.
 
Je ne sais pas. Moi, je sais seulement qu’au profond du village, au confluent de tous les ruisseaux qui tissent ensemble le cours tranquille de la douce Houzée, le vieux château est comme un puits plein d’échos. Qu'il est comme un puits de lumière où l’aurore vient se prendre. Qu' il est comme le jour qui point dans la soie des matins. Qu'il est comme le point nodal où le village se coud au monde.
 
Il faut, pour qu’un village rêve, une rivière aux longs yeux d’herbe, un vieux château dormant entre des prés à vaches, une petite église, et des noms incertains, miroitant comme des reflets sur les lieux du passé.
 
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Publié dans Le village : Selommes

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L'accent

Publié le par Carole

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"Et pis voyons, si je m'souviens,
Voyons dans c'coin d'Beauce.

Y avait dans l'temps un bieau grand ch'min
- Cheminot, cheminot, chemine ! -
A c't'heur' n'est pas pus grand qu'ma main...
Par où donc que j'chemin'rai d'main?" (Gaston Coûté, "Les Mangeux d'terre")
 
 
L'accent, c'était le bien de tous ici autrefois.
Rocailleux comme un caillou de la Houzée.
Tendre et moussu comme un calcaire usé.
Patient et roucoulant comme une tourterelle au donjon.
Large et pansu comme la vieille église fortifiée.
Lourd et gras comme la terre de Beauce.
Sec et dur comme le vent du nord par-dessus les plateaux amputés de leurs arbres.
Il obéissait à des rythmes et des lois antiques - longues brèves dactyles et spondées - :  on traînait sur la "gââââpette", on faisait crisser gaiement la "bééérouette", mais on disait très vite, en vrai "pésan bénaise", d'un seul claquement de langue : "S'lommes !".
L'accent s'épanouissait encore dans la voix tranquille de mes grands-parents ; déjà il avait disparu de celle de leurs enfants ; il faisait rire leurs petits-enfants.
Quelques vieux, dans des salles de ferme un peu sombres, s'arcboutent encore en vain sur ce trésor qu'ils ne légueront pas.
 
L'accent, le vieil accent, le bel accent n'est plus, ne reviendra jamais.
Détruit par quoi ? par l'école et la télévision, par tous les fils électriques qui relient cet ancien monde au nouveau ? Peut-être.  Mais, plus sûrement encore, par la honte sourde d'être d'ici, de ce petit village, de cette Beauce mal aimée.
 
L'accent, je l'entends encore parfois en rêve quand je marche sous les hauts murs où rampe depuis des siècles un même lichen rouillé de pluies, ou quand là-haut je vois, dans ce ciel ondoyant dont le clocher est l'axe, le vent, comme un berger fou, pousser ses nuages égarés vers des mondes engloutis.

Publié dans Le village : Selommes

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Le photographe et la roue du temps

Publié le par Carole

photographe roue
 
Au Clos-Lucé qui fut la dernière demeure de Léonard de Vinci, tentant de photographier derrière sa vitre cette lourde roue en mouvement, immense et lente, et pourtant semblable aux roues de ces engrenages minuscules qui font marcher sans répit les montres et les pendules, j’ai fait apparaître ce trouble fantôme dont on ne distingue guère que les mains, posées sur un appareil-photo devenu ombre.
 
Une erreur de jugement, bien sûr : est-ce que je ne devrais pas le savoir, que face à une vitre on ne photographie rien ni personne, que soi-même en train de photographier ? Est-ce que je ne le savais pas quand j’ai absurdement déclenché l’appareil ? …
... Et puis, finalement j’ai décidé de ne pas détruire cette image manquée. Car, se saisir soi-même face à la roue du temps, et ne saisir qu’une ombre, il m’a semblé que c’était tout de même bien cela, photographier.
Saisir le regard d’un instant, le regard déjà enfui au moment où l’on appuie sur le déclencheur, qu’on a porté sur ce qui passe. Et, ce regard même, savoir qu’on ne le saisit qu'en train de passer, dans l’instant même où il se défait, car il n’est que de devenir et de disparaître…
A la roue du temps arracher comme un fantôme, comme un lambeau misérable et précieux, l’image que cette roue déjà a emportée plus loin.
Une entreprise impossible, évidemment. Et pourtant tellement nécessaire. Car, si nous ne sommes que de devenir et de disparaître, nous ne sommes également que de nous souvenir et de nous retourner.
J’en viens à croire qu’en ce sens, aucune photographie n’est jamais manquée : aussi maladroite, aussi banale qu’on puisse la juger, toujours elle a écrit quelque chose de la fugitive lumière des instants qui passent.
Photo / graphie, écriture de la lumière… je crois que les hommes qui ont inventé la roue, les engrenages et la mesure du temps, ne pouvaient pas ne pas t’inventer aussi.
Je crois que Léonard a rêvé de toi.

Publié dans Fables

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