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Cadenas

Publié le par Carole

oeil cadenas 2
 
L'Oeil était sur la porte et il me regardait.
Il pleuvait gris et froid, rue du Vieil-Hôpital, dans ce coin sombre de la ville.
C'était un grand oeil sans paupière, semblable à ceux des anciens dieux debout dans la lumière, luisant et brun comme une planète roulant dans le cercle des nuits, avec les cils vibratiles et ardents des premiers infusoires, aux eaux noires et profondes de la vie primitive.
Je l'ai aussitôt admiré.
 
Le cadenas doré, et la chaîne d'acier, brillante, solide et plusieurs fois nouée, je ne les ai remarqués qu'ensuite.
Sans doute parce que l'oeil était immense, et neuf, et libre. Si complètement ouvert, si absolument innocent qu'aucun cadenas, aucune chaîne n'y pouvaient rien changer.
 
Pour décadenasser les pensées, faire tomber les verrous, on n'aurait pas besoin de briser les chaînes, pas besoin de connaître les secrets, pas besoin de savoir le chiffre, pas besoin de posséder les clés, pas besoin de la force qui peut rompre le fer.
Il suffirait d'ouvrir grand les yeux, si grand que l'infini y bercerait ses mondes, et la vie ses enfants.
Il suffirait d'arrondir la prunelle en bouclier de bronze, si rond que le jour y laisserait tous ses reflets, et la nuit toutes ses armes.
Il suffirait de regarder le monde bien en face.
Sans se laisser troubler par la lumière ou par l'ombre, par le savoir ou par l'illusion, par l'or ou par la misère, par la laideur ou par la beauté.
De regarder vraiment. Comme au premier jour Celui-là nous regarda.

Publié dans Fables

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For ever

Publié le par Carole

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Dans la sombre rue de l'Ancienne-Monnaie, pour la courte saison du Voyage à Nantes, on a accroché, en hommage à Jacques Demy, ce beau drapeau qui flotte au vent.
"Demy for ever", dit-il sur fond d'hermines bretonnes et de couronnes ducales. "Demy for ever", dit-il sur fond de Peau d'âne et de rue triste. "Demy for ever".
Le vent joue avec l'étoffe légère à écrire d'autres mots, des phrases brèves qu'il efface aussitôt : "Demy  fever", " Deny for ever", "My fiddler", "Dey order" - cela veut dire beaucoup, ou rien du tout, qu'importe.
Quand on passe, et qu'on lève la tête, on voit marcher ensemble le ciel, les nuages, et l'âne gris qui broute aux vieilles fenêtres.
 
J'aime ce drapeau qui dit l'éternité de l'artiste avec le vent qui va et le tissu fragile, avec ce petit âne habillant d'ombre le grand corps lumineux de la beauté, avec ces mots qui remuent et frissonnent, et que chacun relit à sa façon.
J'aime ce drapeau, posé dans une rue grise et laide où l'on ne passe guère, et qui bientôt, terni et déchiré, s'effacera dans les tempêtes et les orages, mais qui nous dit pourtant, "for ever", de regarder là-haut.
 
"For ever", artistes qui travaillez pour nous, vous êtes les passants de nos vies, les brassées de nuages et les prairies d'azur croissant au-dessus de nos toits, les princes solitaires en robes d'âne et en habit de rien, allant comme le vent par les rues grises où nul ne songe à vous, à moins qu'il ne lève, parfois, la tête vers le ciel.
Vous êtes peu de chose, le temps vous malmène et disperse vos noms, pourtant vous vous tenez pour toujours au-dessus de nous quand nous marchons sans vous voir. For ever.

Publié dans Nantes

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Derrière la grille

Publié le par Carole

Derrière la grille
- Nantes - affiche collée sur le mur d'un porche, rue des Olivettes -
 
 
Quand je L'ai vue coincée là, derrière la grille, en passant rue des Olivettes, cela m'a presque amusée. L'affiche était hideuse, et Elle se décollait déjà, incapable pourtant de s'arracher au mur et de fuir dans le vent de la rue. Bouclée. Oui,  Elle était bien bouclée, là,derrière les barreaux. Et tout le vieux folklore - les serpents, les dragons, les dents de faux, l'oeil charbonneux - devenu si dérisoire et si laid... On était bien tranquilles, enfin débarrassés d'Elle, on était bien, on pouvait vivre en paix.
Et puis j'ai distingué ce mot, en bas, à droite, qui était comme le commentaire en marge de celui qui avait poussé la grille : Désolé.
Désolé ?
J'ai imaginé cette fable... :
 
Lorsque la maladie, la vieillesse et la mort eurent disparu de la surface de la terre, lorsque l'angoisse de disparaître et la terreur du néant ne furent plus que de lointains souvenirs, la Camarde, avec dignité, empocha la pension de retraite confortable que le gouvernement lui avait fait voter, et se retira dans ses appartements.
Elle rangea sa faux dans l’armoire près de l’aspirateur, enfila ses pantoufles, se prépara un plateau de chips et de coca cola, s’installa sur son canapé, alluma la télévision, regarda quelques films policiers, prit des nouvelles du monde, et attendit.
Cela ne pouvait tarder.
Et bientôt, en effet, retentit le premier coup de sonnette.
Elle s'empressa d'aller ouvrir. C’était un vieil-homme-toujours-jeune : « Mort, supplia-t-il dans un souffle, Mort, douce amie, Mort, aie pitié, donne-moi un coup de ta faux, je ne peux plus continuer ainsi ».
-Pas question, dit la Mort, on m’a mise à la retraite, tu le sais bien.
Mais un autre sonnait déjà, et un autre, et un autre encore, une foule attendait derrière la porte : "Mort, donne-moi la fatigue, disait l’un, donne-moi la vieillesse, disait l’autre, donne-moi l'espérance du néant comme un pain quotidien ! La vie a perdu toute saveur depuis que Tu t’es retirée. Mort, ô Mort, la vie, sans toi, ne vaut plus rien."
-Non, dit la Mort, c’est fini, vous m’avez mise à la retraite et je ne reprendrai pas du service à mon âge…
Ils étaient tous là, tous, à supplier, tous ceux qui avaient tant souhaité se débarrasser d’elle, tous, absolument tous, il n’en manquait pas un… La Mort s’amusait follement. Elle les contempla : hagards, épuisés, malheureux, ils étaient des cadavres vivants… Elle avait donc enfin remporté la victoire, une victoire comme jamais elle n’avait pu en espérer, même dans les grandes pestes et les tremblements de terre, même dans les guerres et dans les camps, une victoire absolue. La terre était désormais son royaume. D’un coup sec elle referma sa porte comme le couvercle d’un cercueil. Puis elle éteignit la télévision. Il n’y avait plus rien à voir, de toute façon.

Publié dans Fables

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Le distributeur de reflets

Publié le par Carole

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   Avez-vous remarqué que les distributeurs de billet sont presque toujours insérés dans des miroirs - de verre ou de métal - ?
   Cet après-midi-là, la voiture dorée, les mannequins, et cette femme inconnue s'en allant on ne sait où, élégante silhouette à peine visible sur la porte du magasin,  construisaient une sorte de tableau - presque une vanité moderne. Un tableau provisoire, instantané, comme tous ceux que nous offre la ville.

Publié dans Nantes

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Sens interdit

Publié le par Carole

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Quelquefois, on se promène sur une île,
et par hasard, sans savoir,
dans un nid de vieux murs,
on trouve une maison repliée sur ses ailes.
 
Et justement c'est la maison.
Celle qu'on voyait autrefois dans les rêves
celle qu'on dessinait sur les cahiers d'école,
celle qu'on habitait en secret
mais qu'on cherchait sans fin.
 
Elle est posée dans un jardin d'Eden.
De vieux palmiers empanachés de plumes vertes
y rêvent d'autres îles,
et le lierre y sinue
parmi de clairs bouquets de roses et de pensées,
d'immortelles et de myosotis,
plantés comme des haies
pour loger les oiseaux que le vent sème.
 
La grille est forgée de fleurs et peinte en bleu de ciel,
on pourrait la pousser
facilement.
Alors on entrerait.
On prendrait la petite allée de coquillages et d'écume de mer,
on marcherait jusqu'à la porte,
on cognerait prudemment, très doucement,
comme au volet de bois d'un très vieux coeur fragile.
Quelqu'un nous ouvrirait.
quelqu'un qui serait mort depuis longtemps,
une grand-mère aux yeux fanés,
une tante aux cheveux de lin,
ou cet enfant perdu qui nous ressemble tant.
 
Voilà que déjà on avance,
que l'on pose la main sur la poignée qui grince comme un léger sanglot,
comme un carreau que le vent ferme
dans les greniers du temps.
 
Et - pourquoi donc ? - on lève un peu la tête,
c'est alors qu'on comprend
que le panneau
Sens interdit
qu'on avait remarqué tout à l'heure, qu'on aurait préféré ne pas voir,
n'a pas été par erreur posé un peu de travers sur le mur du jardin.
Qu'il est bien où il faut, accroché là pour nous,
rien que pour nous
qui passions sans savoir,
qui croyions passer par hasard.
 
Juste pour nous rappeler
qu'on ne revient jamais
dans la maison d'avant
celle où l'on n'est jamais entré.

Publié dans Fables

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Beauté

Publié le par Carole

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Que la Beauté nous attende partout, à toute heure et sans rendez-vous, je n'avais pas besoin du panonceau pour le savoir.
Mais ça m'a tout de même fait plaisir de le lire sur la façade de cet immeuble en construction. Un peu comme si je l'avais, justement, rencontrée, là, cette Beauté, fruste déesse de chantier en imperméable de plastique rose, agitant sous la pluie grise son léger bouquet de ballons d'enfant, sur ce mur de rude brique tout troué de ténèbres.
La Beauté nous attend partout, mais n'est jamais où nous la cherchions. Souvent nous passons à côté d'elle sans la remarquer, ignorant ses appels. Et quand, soudain, nous l'apercevons, nous sommes presque toujours étonnés de la trouver si modeste, si frêle.
C'est une Peau d'âne, qui ne se montre qu'à ceux qui savent la voir. Qui ne se donne qu'à ceux qui sont capables, pour la tirer de son obscurité, de lui tendre la main à toute heure et sans rendez-vous. Et, surtout, sans préjugés.

Publié dans Fables

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Scotch

Publié le par Carole

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- Projet "scotch" - Canal Saint-Félix - Nantes -
"Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots" (Arthur Rimbaud, Le Bateau ivre)
 
C'est un drôle de projet imaginé par la Compagnie des Maladroits qui depuis bientôt un an "scotche" la ville - et le regard étonné des passants : pour ce mois de juin, les tristes bornes d'amarrage dépeintes et taguées qui jalonnent les quais du canal Saint-Félix ont été enrobées de mousse, sculptées de bout de ficelles, puis emmaillotées bien serré dans les bandelettes de ce large adhésif brun carton qu'on emploie d'habitude pour les emballages.
 
Et voilà que, sur les quais où l'herbe pousse plus dru et plus fleurie, des bonshommes en short bariolé, au torse nu comme le soleil et bronzé comme du papier kraft, nous font signe, nous hèlent et nous appellent à l'assaut des péniches.
Suivant ces sémaphores tranquilles, de canal en estuaire, nous descendrons les Fleuves en bateaux ivres, pour gagner le Grand large, sans autre paquet, sans autre bagage que nous-mêmes. Légers comme des bouchons à danser sur les flots, nous partirons.
 
- Pour tout changer, pour métamorphoser le monde, pour s'en aller plus loin et gagner le Grand large des rêves, que nous faut-il ?
- Presque rien, voyez-vous, c'est si simple.
Prenez une paire de ciseaux, quelques grammes de mousse, trois bouts de ficelle, et un large rouleau d'adhésif à kraft - ou tout autre matériau de la vie quotidienne, les ingrédients étant ici de bien faible importance. 
Pétrissez, ficelez, et roulez dans l'immense désir de partir, d'oublier les bornes et les attaches.
Ajoutez-y l'obstination du scotch qui adhère si fortement à ce qu'il enserre - ou tout autre désir têtu qu'il vous plaira.
Recouvrez de la sainte inhabileté des doigts des Maladroits, qui ne façonnent que des formes précaires et imparfaites.
Laissez reposer sous le ciel, près des reflets, des oiseaux, des nuages.
L'oeuvre une fois terminée, posez sur elle votre regard d'avant. Celui qui faisait surgir les signaux, les silhouettes amies, et les chemins si bleus de l'autre vie.
Restez là un moment, laissez venir l'enfant que vous avez été.
 
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Publié dans Fables

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La patience du pêcheur

Publié le par Carole

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Sans hâte le pêcheur plongeait et ramenait son filet, le replongeait, le ramenait. Parfois un tout petit poisson brillait au creux des mailles. Le plus souvent il n'y avait rien. Mais la patience du pêcheur semblait aussi vaste que l'océan, et toujours il redescendait et remontait la corde, balançant au-dessus des vagues l'appât noir et déjà corrompu.
Dans le seau de plastique sale, les poissons, lisses et brillants d'abord comme un trait de soleil sur un pli de la mer, s'éteignaient aussitôt.
Penché au-dessus de son reflet, face à l'horizon, le pêcheur replongeait le filet, attendant inlassablement l'instant qui reviendrait, quand un autre poisson, un autre trait infime conquis sur l'infini, scintillerait en vibrant dans l'air tiède.
Il était là, je crois, depuis des heures.
Tant de patience.
Pour l'éclat d'un instant. Pour ce moment de lumière où la mer prenait forme. Où montait soudain dans l'air bleu ce poisson minuscule venu de Là-bas comme un mot étoilé, comme une parole de l'écume, comme un vers cadencé sur les vagues.
Peut-être qu'il en vivait, de cette pêche, peut-être qu'elle suffisait à remplir sa vie. C'est possible, n'est-ce pas, de vivre d'aussi peu comme si on avait tout.
Ses doigts de musicien pinçaient doucement la corde mince, au rythme lent des vagues, jouant sans bruit l'éternelle mélodie des choses et des vies qui attendent muettes, infimes et infinies, dans l'illimité.
 
C'était un homme très ordinaire, même un homme un peu fruste, pauvrement vêtu, et très sale. Il n'avait pour sonder l'océan qu'un filet de plastique, un appât misérable, des mains aux ongles noirs.
Mais ces bijoux qu'il ramenait parfois, ces étincelles allumées par l'eau, que le soleil trempait d'argent....
Et dans le seau terni ce petit tas de poissons pâlissants - comme des mots défaits qu'on aurait posés là.
 
- Recommencer, toujours recommencer, me disait le pêcheur silencieux.

Publié dans Fables

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Un stylite

Publié le par Carole

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- Statue de Louis XVI - Place Foch - Nantes - 
 
D'autres villes ont des statues de la Liberté, des statues de la Victoire, des statues de l'Avenir en chantant.
Nantes, seule, a sa statue de Louis XVI, sorte de Solon ventripotent perché sur sa longue colonne cannelée, obstinément tourné, dit-on, vers la Vendée, et, certainement, vers l'Océan.
 
Au sommet de sa longue colonne, il est à l'étroit comme un aigle égaré qui nicherait sur un perchoir de canari. On a beau écarquiller les yeux, on ne distingue ni son sourire indulgent, ni les boucles de sa perruque, ni son menton un peu fort sous le nez bourbonien. On le reconnaît pourtant, à son ventre qui bombe sous la tunique à l'antique, et à ce quelque chose d'un peu maladroit dans la silhouette qu'on lui a toujours vu, depuis la prise de la Bastille.
L'un de ses bras repose raide, comme paralysé d'arthrite, sur les plis de sa robe, l'autre tient un Rouleau qui doit être la Loi, ou la Paix, ou l'Ordre souverain du monde, scellé de pourpre ou de crotte de pigeon. Il a l'air d'un agent qui ne saurait pas faire la circulation, au milieu du carrefour. Et il regarde très loin devant lui.
Si loin qu'on se demande s'il a jamais pu voir autre chose que l'horizon qu'il fixe, et qui, d'en-bas, nous échappe tout à fait.
A-t-il vu fusiller les petits gars de 1830 ? A-t-il vu revenir les vaincus de 70, dans leurs capotes verdies de bronze ? A-t-il vu s'épanouir la grande usine Lu, en face ? et la Loire mise à mort, enterrée sous le sable, l'a-t-il veillée quand elle agonisait ? et les détenus que la Gestapo déchargeait près de lui, a-t-il tenté de son bras ankylosé un geste pour les protéger ? et les tracteurs de 68, a-t-il remarqué comme ils brillaient au soleil ?
Grand oiseau calme et obstiné, il a l'air de fixer, plus haut que nous, des lointains mornes, mais je crois que depuis longtemps ses yeux rongés d'usure ou de détresse ne voient plus rien de ce qu'il faudrait voir. Et il serre son Rouleau, d'autant plus fort, dans sa main souveraine.
Derrière lui la Grande Roue tourne lente et sûre, aux deux saisons de foire.
 
 
Venant de la rue Clemenceau, et  passant près d'un réverbère de l'angle du cours Saint-Pierre, je l'ai vu ainsi soudain, notre Louis XVI, un après-midi, en équilibriste étrange. Un nuage passait par là, offrant un fond plus clair au cercle gris du globe de verre, et à cette bougie qu'il enfermait comme une âme fragile.
Je me suis souvenue de ces globes royaux qu'on peut encore voir à Versailles, de ces mondes que le roi géographe faisait tourner en pleine Révolution, pour suivre les voyages et les tourments de La Pérouse, le doigt posé sur les mers et les îles lointaines, étrangement séductrices et cruelles, où le navigateur s'était égaré. 
Et puis j'ai pensé à ces moines stylites des premiers temps chrétiens, qui passaient leur vie, rêveusement perchés sur des colonnes, au plus près du ciel, s'efforçant de ne rien voir du monde d'en bas. On peut tenir ainsi longtemps, paraît-il, en équilibre - mais on finit toujours par retomber, emporté par le poids de la réalité.

Publié dans Nantes

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Une ville que traversent les hérons

Publié le par Carole Chollet-Buisson

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- Nantes- Jardin des Plantes -
 
Levez la tête, vous verrez passer les hérons. Minces fuseaux de brume, bec accroché au vent, pattes ramant le ciel, filets gris de nuages naviguant à travers la pluie, ils glissent d'une rive à l'autre. A l'île Héron ils vont nicher. Tout le jour, d'île en île, de bateau en bateau, par les routes de l'eau et les routes du ciel, ils traversent la ville qui croit les ignorer dans son fracas de ville, mais qui ne vit, qui ne rêve, qui ne s'apaise et ne se pose que du long frôlement de leur aile, là-haut.
 
Un lieu se connaît par ses oiseaux. Dans mon village autrefois il y avait toutes ces tourterelles. Elles berçaient les soirs de leur "rou rou rou" tranquille comme une chanson douce, elles posaient sur les heures leur lent frou frou de soie et d'éventail. Plus tard, j'ai vécu dans un hameau hanté d'hirondelles rapides comme de courtes flèches et de faucons hiératiques.
Ici, c'est une ville qui rêve dans ses eaux et ses îles, c'est une ville que traversent les hérons.
 
De lieu en lieu, et de ciel en ciel, nous voyageons comme les oiseaux, portés par les nuages, au-dessus d'un monde plein de reflets.
 
Tout à l'heure, j'ai croisé boulevard Jules Verne un jeune Japonais. Il portait une lourde valise. Dans le regard une tristesse mêlée de légèreté, une fragilité prête à devenir force.
Brusquement j'ai pensé à toi. A toi étranger là-bas. Comme lui.

Publié dans Nantes

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