Paradise
Elle s'appelait Paradise.
C'était une petite ville où la vie était douce, sous le soleil ardent de la Californie, calme comme un ciel bleu, à l'ombre des sommets de moins en moins neigeux de la Sierra Nevada. Une ville américaine, pavillons et piscines, mobile homes et jardins, drugstores and pickup trucks. Un paradis coquet, un paradis modeste, un paradis banal, un paradis sans grâce, même pas un paradis pour tout le monde, juste un petit paradis comme un autre, bâti et rebattu à coup de dollars et d'efforts, et de gazole et de technologie.
Peut-être qu'on la reconstruira, un jour, je ne sais pas.
Mais plus jamais elle ne s'appellera Paradise.
Parce que l'Enfer, roulant ses flammes depuis les forêts assoiffées par des mois de sécheresse, dans le grand vent féroce du changement climatique, s'est déchaîné un soir sur tous ses pavillons et ses mobile homes, ses pickup trucks, ses drugstores, ses jardins, ses piscines et ses téléviseurs.
Et qu'il n'en reste rien. Que la fumée qui fait tousser les gens jusqu'à San Francisco, et la cendre emplissant les piscines, et la tôle noircie des pickups transformés en urnes funéraires, sur le bitume fondu des routes.
Et qu'elle pourrait bien devenir, un jour,
pour eux, les survivants de ce siècle étrange,
ce qu'elle est déjà,
en réalité,
pour nous, les vivants stupéfaits face aux ruines fumantes sur les écrans rougeoyants.
cette petite ville qui s'appelait Paradise :
le symbole du début de la fin - non du monde mais d'un monde.
Ce monde où l'on vivait si tranquillement cosy, au bord des routes, dans les drugstores et les pavillons, et jusqu'entre les planches des mobile homes, à regarder à la télé tous les malheurs des autres.
quand depuis si longtemps l'Enfer couvait sous le bitume, comme le feu sous les piscines, et la terreur sous les pneus en fusion, et la misère sous les dollars,
Quand on croyait encore qu'il serait si simple de partir, vers d'autres pavillons, d'autres drugstores ou d'autres mobile homes, rouler plus loin dans les pickups et tout recommencer.
Sans rien changer.
novembre 2018