Le bonheur du jour
Un bonheur du jour, ce fut d'abord l'un de ces petits secrétaires où les dames d'autrefois s'adonnaient au bonheur d'écrire - une lettre, un roman, un poème, une page de journal intime, un petit rien de chaque jour que leur plume brodait et rebrodait en rondes sur un papier parfumé, dans le calme secret de cette "chambre à soi " que Virginia Woolf leur souhaitait à toutes.
Marc Augé nous le rappelle au début du livre qu'il a consacré aux "Bonheurs du jour", qu'il appelle aussi les "bonheurs malgré tout", et même parfois les BMT, si minces et si légers dans leurs abréviations bourdonnantes d'insectes, humbles souffles de joie qu'on peut cueillir partout, même aux terres arides de la souffrance, du deuil ou du simple ennui.
Le bonheur est maintenant une idée à la mode en Europe et ailleurs, et nous nous croyons tenus de le cultiver dans les parterres ordonnés et modernes de nos programmes de "bien-être" et de nos manuels de "bien-vivre", pour le faire fructifier et grandir en bons propriétaires, écartant de lui la douleur et l'échec comme vils parasites, avant de le replanter comme un chou lorsqu'il décline, à la mode nouvelle de chez nous, dans un terreau de meilleur rendement.
Souvenons-nous, pourtant, qu'il n'est de vrai bonheur que celui qui surgit et se fane comme un beau jour qui passe.
Et de ces plumes anciennes et démodées, courant sur le papier dans cette poussière de soleil où tournoie la mémoire, maladroites, délicates, légères et obscures comme un destin de femme, essayant chaque soir de le dire, de l'écrire, d'en retenir un peu l'éclat.
Pour que vécu une première fois, il soit vécu une deuxième fois encore,
l'humble bonheur du jour,
et commence en nos coeurs son petit bout de chemin vers cette éternité qu'il n'atteindra jamais.