Après
C'était étrange de les voir démontés et défaits, dans la boutique à louer, les mannequins footballeurs qui avaient si longtemps fait la haie.
C'était si curieux, aussi, ce soir, de voir chacun se passionner pour "son" équipe, d'entendre qu'on disait "nous" qu'on disait "on", et qu'on disait "la France" et qu'on disait "la Croatie", comme si vraiment onze artistes du ballon pouvaient, modernes Horaces ou modernes Curiaces, être à eux seuls leur peuple.
C'était si troublant, ensuite, de voir tant de gens secouer des drapeaux comme au temps des grandes guerres. Et plus troublant encore, à la télé, de voir un coq géant s'afficher sur le vieil arc des triomphes napoléoniens...
C'était un peu la guerre, au fond. Et justement, non : ce n'était pas, ce n'était plus la Guerre.
C'était le bonheur d'être ensemble, de se passionner pour le même spectacle, de crier les mêmes mots, de retrouver enfin, riche ou pauvre, la vieille égalité des conscrits et des "bleus". Sans les canons et sans les morts.
Alors, comment ne pas s'en réjouir ?
Tout de même. Je me demande s'ils ne vont pas, d'un coup, se sentir un peu seuls, demain, ceux qui étaient si heureux tous ensemble devant leurs écrans géants. Ceux qui faisaient la fête et qui nous klaxonnaient leur joie.
Quand tout sera vraiment fini.
Qu'on rangera dans le carton aux souvenirs les cris de victoire et les trompes des klaxons.
Dans l'ombre et la poussière de leur décor défait, comme au fond des vitrines qu'on démonte,
un peu seuls un peu tristes.
15 juillet 2018, au soir de la finale de la Coupe du Monde de football