Quand le verre est entier
Il s'exprime bien, c'est vrai, on dirait même qu'il se croit vraiment poète, celui qui nous a laissé, sur la paroi brisée de l'abribus, ce message aussi rouge et vinasse que les révolutions qui fermentent dans les bars - et aussi tristement étoilé, dans sa toile d'araignée securit, que la nuit du casseur.
Quand le verre
est entier
c'est nous qui
nous sentons
brisés
(poésie)
Poésie, vraiment, cette vitre lapidée ?
Poète, celui qui ne se sent entier que lorsqu'il casse ?
Créateur, celui qui ne se dresse que sur ce qu'il écrase ?
Demain, après-demain, on aura réparé l'abribus, évidemment ; on pourra oublier. Mais là, devant la vitre bavarbouillée où ce méchant rimeur nous a jeté la première pierre, il faut bien essayer de répondre.
Se sentir exister lorsqu'on brise, se croire grandi de ce qu'on a détruit, c'est ce qui caractérise les pillards et les tueurs. Mais la poésie... personne ne sait bien ce que c'est, la poésie, mais, non, ça ne s'écrit pas à coups de poing sur les vitres des abri-bus.
Non, ça n'a pas le tranchant des éclats sanglants, la poésie, tout au contraire... la poésie...
ça ressemble plutôt à ces boules de sable et de débris que les verriers pétrissent dans le feu en pâte lisse et harmonieuse, pour en faire des objets étranges ou familiers,
tirant de la poussière du monde, par la magie du rythme qu'ils lui impriment patiemment, le verre liquide et pur qui se façonne au souffle créateur
pour retrouver
dans la lumière
sa forme entière
éternelle
passagère.