Blois - Quartier du Puits-Châtel - Cour des Miracles
C'est un trou de torchis tout au bord du trottoir. Un escalier glissant faufilant sous les pieds.
On se courbe, on se glisse, et on lit, tout surpris : Cour des miracles.
Cour des miracles ? Bah...
Ce n'est sans doute qu'un de ces noms pittoresques à la Viollet-Le-Duc dont les érudits locaux gratifient toutes nos villes. Et puis Victor Hugo a habité Blois - Victor Hugo, rue du Foix, Blois - ici, qui pourrait l'oublier ? On est curieux de voir, quand même... on descend l'escalier, s'appuyant prudemment sur la rampe glacée...
Qui sait ?
Et...
... ces grilles lourdes au carreau sombre, s'ouvrant et se fermant comme des portes de prison...
... ce porche à couvrir les mendiants sous la pluie, grimpant au mur comme une bête sur ses pattes de bois...
... ces maisons maigres en équilibre, qui béquillent et qui colimacent, et ces fenêtres en vis-à-vis qui se clignent de l'oeil....
... ces marches humides qui tortuent, ces bornes à uriner en chien battu, ce grand noeud à se pendre...
Pas de doute, on y est, on y croit, c'est bien là, c'est la cour des Miracles.
Argotiers et Ribauds, Caymans et Bélîtres, Rifodés et Milliards, Piètres et Francs-Mitoux, Coquillards et Narquois, Malingreux, Sabouleux, tristes Drilles, Cagous et grands Coesres, Archisuppôts du grand démon Misère... c'est ici que vos âmes contrefaites guérissaient du malheur en comptant leurs rapines, c'est ici qu'accroupis croupissants, guenilleux et puants, vous étiez malgré tout foules et peuples, que les rois vous craignaient, que les badauds vous lorgnaient comme oiseaux de gibets, qu'à la lueur glacée d'une chandelle grasse les gueuses vous donnaient à aimer et à boire, à chanter, à jurer - à crever.
Mais au balcon fleuri une femme se penche et appelle son chat, des gens traversent la placette en feuilletant leur guide. Une boutique est à vendre, il suffit de téléphoner.
Un quartier pittoresque, finalement, charmant et bien tenu, une cour à touristes.
Un réverbère s'allume, il est déjà six heures.
On repasse le porche, encore un peu troublé, on s'en retourne vers le centre où Noël s'illumine en joies de bon aloi et guirlandes municipales.
Et soudain, on détourne les yeux, pour éviter de l'avoir vue, la silhouette sans âge, informe et solitaire penchée sur les poubelles, choisissant ses cartons à la lumière étoilée des vitrines.
Et ces deux, là, dans l'ombre, qui s'échangent à voix basse on ne sait quoi de louche. Mieux vaut ne pas savoir...
On se sent fatigué. On voudrait réfléchir. On aimerait s'asseoir - qui donc a retiré les bancs, pour que les pauvres errants ne s'y allongent plus la nuit ?
Le progrès, on vous dit. Le grand progrès des siècles qui avance sans cesse et ne marche qu'en rond, balayant sur sa route comme une bête aveugle ceux qui tombent, sont tombés, tomberont.
Nul n'a jamais connu et nul ne connaîtra d'autre miracle.