Les pauvres mécènes
Oh, he jumped up high
Dans un journal espagnol (pourquoi donc espagnol ?), j'ai lu hier un très beau texte, l'hommage d'Olivier Bourdeaut à son frère Xavier, "le mécène le plus pauvre de France", celui qui l'a hébergé quand il n'avait plus où aller, celui qui l'a guidé quand il ne savait plus vers quoi aller.
Il y raconte comment son frère partait le matin travailler jusqu'au soir, dans sa salopette de plombier, l'invitant, lui l'écrivain qui n'était encore qu'un "raté", à mener lui aussi à sa table sa dure journée de plombier, remuant et filtrant les eaux troubles de l'imagination, serrant et desserrant les rires et les sanglots de l'écriture, jusqu'à mettre le dernier tour de clé à son roman enfin serti - ce n'était pas encore le délicat En attendant Bojangles, mais c'en était au moins la promesse.
Ce sont là les vrais mécènes, en effet, tous ces pauvres mécènes anonymes, qui par la patience et l'amour font éclore tous les noms qu'on célèbre.
Les servantes impayées des maîtres et leurs mères effacées, les frères nourriciers et les compagnes sacrifiées, anges de la page blanche et de la toile vierge, veillant indéfectiblement sur ceux qui ne savent pas encore ce qu'ils sont, pour que naissent enfin d'eux ces romans et ces tableaux, ces chansons, ces poèmes, qui doivent exister et qu'ils ont entrevus, dans leur rêve naïf, les premiers.
Ce sont les vrais mécènes.
Si humbles qu'ils ne sauraient sans doute eux-mêmes devenir des artistes, ils ont pourtant en eux l'obstination des Bojangles, l'espérance des anges, cette confiance que rien ne lasse et que rien ne détourne, qui fait les créateurs.
Je crois qu'ils sont des créateurs.
Et, finalement, d'une certaine façon, si... : ils sont eux aussi des artistes.