L'iceberg
C'est l'été des vacances, des bouchons, des troupeaux d'insouciance.
Et moi, je pense à lui. De temps en temps. Pas tout le temps. Il ne faut rien exagérer, puisque c'est l'été de l'insouciance en vacances...
Mais quelquefois, quand j'ai trop chaud, ça m'arrive, je me souviens de lui. Je l'imagine, immense et solitaire, pur et glacé comme le destin.
L'iceberg.
Il est parti le 12 juillet. Quittant d'un coup sec l'Antarctique pour voir le vaste monde. On dit qu'il est l'un des plus grands de tous les temps. On dit qu'il est l'un des derniers remparts de la barrière de Larsen. Le dernier avant que soient mises à nu et à fondre les millions de tonnes d'eau douce gelée stockés sur le continent lui-même. On dit aussi que c'est effrayant, ce qui arrivera, ensuite.
Il y a évidemment des experts pour douter, pour se demander si la secousse qui a jeté l'iceberg sur l'océan est une conséquence avérée du réchauffement du climat, ou si peut-être... Les optimistes résistent autant qu'ils le peuvent aux pessimistes, opposant aux évidences désagréables leurs calculs byzantins et leurs courbes de Gauss aussi flatteuses que le sexe des anges.
Du trouble que produisent ces controverses dépend la continuation du monde tel que nous l'avons bâti - en oubliant de le penser. C'est pourquoi, on peut en être sûr, il ne manquera jamais d'optimistes, pour éviter aux pessimistes d'avoir vraiment raison. Jusqu'à ce que même les optimistes se noient, dans la glace fondue de leurs chiffres...
En tout cas, il s'en fiche bien, lui, des experts dubitatifs et de la continuation de ce monde où nous dansons et amassons sur les glaces qui fondent. Il sait ce qu'il a à faire, lui, et il avance, tranquille. S'amenuisant au fil ds jours, il passera comme un dernier message sur tous les océans du monde, suivant nonchalemment sa route d'iceberg régie par ces lois précises et inéluctables qui ont rendu inévitable, jadis, la rencontre d'un autre iceberg avec le Titanic.
Puis, quand il aura fini son grand tour, il craquera en petits icebergs, qui se briseront en morceaux de glace, qui fondront sous nos pas quand nous voudrons fuir. Alors là-bas, d'autres glaces craqueront et se mettront en route après lui. Et des peuples s'engloutiront.
De temps en temps, secouant ma torpeur estivale, je pense à lui.
Bien sûr que ça ne sert à rien. Puisqu'il s'est déjà mis en route et que sa route obéit à des lois si précises qu'elles ne peuvent que le conduire au Titanic. Que les experts dubitatifs continuent à faire semblant de controverser, pendant que d'autres organisent des bouchons, des vacances, des sondages électoraux, et des algorithmes compliqués pour les cours de la Bourse.
Bien sûr que ça ne sert à rien. Puisqu'il s'est déjà mis en route et que sa route obéit à des lois si précises qu'elles ne peuvent que le conduire au Titanic. Que les experts dubitatifs continuent à faire semblant de controverser, pendant que d'autres organisent des bouchons, des vacances, des sondages électoraux, et des algorithmes compliqués pour les cours de la Bourse.
Pourtant, je ne peux pas m'en empêcher : de temps en temps, je pense à lui.
Je me demande où il en est aujourd'hui. S'il a pris par l'Afrique ou par l'Australie. S'il va croiser Juan Fernandez et les chèvres de Robinson, ou s'il passera plutôt au large de Tromelin. Et quel jour il entrera de nouveau en collision avec notre grand Titanic.
Je me demande où il en est aujourd'hui. S'il a pris par l'Afrique ou par l'Australie. S'il va croiser Juan Fernandez et les chèvres de Robinson, ou s'il passera plutôt au large de Tromelin. Et quel jour il entrera de nouveau en collision avec notre grand Titanic.
J'aimerais bien qu'aux informations on nous donne chaque jour des nouvelles de sa route, plutôt que de nous ennuyer avec la politique.
Bien sûr, ça n'intéresse pas grand monde, un iceberg, je sais bien. Surtout que c'est l'été de l'insouciance et des vacances. Mais je suis sûre, quand même, que de temps en temps, comme moi, d'autres que moi pensent à lui...