L'insolite
Il suffit si souvent de lever les yeux...
Rue Gambetta j'ai levé les yeux, et je l'ai tout de suite reconnu : l'insolite.
Celui qui fait sortir l'ordinaire de ses gonds pour nous ouvrir les portes.
Celui-là même qui clôt Nadja sur le visage ensablé d'une aviatrice au nom d'Aurore.
Une femme est sortie par la porte cochère. Me voyant arrêtée, elle m'a dit bonjour.
Il suffit si souvent de dire bonjour...
Rue Gambetta je lui ai rendu son bonjour, et j'ai demandé pourquoi on avait suspendu cette bizarre enseigne au-dessus de sa porte.
-Il y avait un petit musée ici, avant... un musée de la machine à coudre. C'était un vieil original qui avait eu cette idée. Une idée insolite, n'est-ce pas ? Il avait installé chez lui ce musée... Des machines à coudre, il en avait, il en avait des quantités, des vieux modèles, tout décorés. Quelque chose d'incroyable... Nous avons acheté son appartement. Malheureusement, les machines n'y sont plus. Le musée est fermé.
-C'est dommage, ai-je répondu en regardant la fleur brodée qui grandissait dans son fil de canette au flanc de la machine suspendue dans le ciel. Cette belle fleur ne demandait qu'à s'épanouir. Mais l'aurore ? Pourquoi l'aurore ?
-Aurore, c'était tout simplement une marque de machine à coudre.
Il suffit si souvent d'appeler les choses par leur nom, tout simplement...
J'ai remercié la femme qui m'avait informée, et je suis repartie, pensant à ce vieil original qui nous l'avait si joliment enseigné,
que l'insolite, tout simplement,
c'est ce fil délicat et pourtant si solide
qui coud au ciel, là-haut, les pauvres vies d'en bas
quand elles sont taillées dans l'étoffe des songes.