Chère Louise
C'était, au fond d'une grande boite poussiéreuse, dans un fouillis de cartes postales fanées séchées au vent du temps, comme un bouquet intact. Une brassée de fleurs fraîches et venues de loin, un bouquet coloré que m'offrait en silence une main disparue.
J'ai retourné la carte postale.
Celle qui l'avait écrite avait tourné ses phrases comme à l'école d'autrefois, utilisant tout le papier pour n'en laisser rien perdre, traçant des lignes en espalier pour soutenir ses phrases, soignant son orthographe et sa ponctuation, greffant des parenthèses, fleurissant l'adjectif et ciselant la métaphore.
Elle était datée du 23 août, mais les lettres penchées couraient en s'inclinant sur le carton jauni avec la régularité têtue d'un crachin persistant.
C'était un long dimanche de solitude grise. Elle écrivait à Louise, car Louise était absente.
On entendait la pluie gratter à la fenêtre sa mélodie d'ennui. On sentait dans l'air sombre le lourd parfum des plantes aux largesses fleuries veillant sur le buffet, près de la corbeille de fruits et des vieilles photos, tandis que la télé au son baissé chantonnait sans entrain ses variétés d'après-midi. Un courant d'air frisquet tombait sur la cheminée froide, avec ses rêves de chaleur.
C'était un long dimanche de solitude, mais elle aimait écrire. Elle se penchait patiente, recopiant son brouillon. Tout à l'heure elle reprendrait son tricot. Elle arroserait les fleurs. Et demain elle mettrait la lettre à la boîte, en revenant du pain.
La carte n'était pas signée. Il y manquait sans doute une page, que je n'ai pas trouvée. Je ne saurai jamais le nom de celle dont un après-midi mélancolique, en rameau délicat, tomba après sa mort, comme un brin de roman, dans la boîte à poussière d'un humble bouquiniste.
Mais j'ai pensé qu'à ceux qui s'appliquent à écrire, les messages qu'ils envoient laissent après la mort un peu de vie encore.