Chère Louise

Publié le par Carole

Chère Louise
C'était, au fond d'une grande boite poussiéreuse, dans un fouillis de cartes postales fanées séchées au vent du temps, comme un bouquet intact. Une brassée de fleurs fraîches et venues de loin, un bouquet coloré que m'offrait en silence une main disparue.
J'ai retourné la carte postale. 
 
Celle qui l'avait écrite avait tourné ses phrases comme à l'école d'autrefois, utilisant tout le papier pour n'en laisser rien perdre, traçant des lignes en espalier pour soutenir ses phrases, soignant son orthographe et sa ponctuation, greffant des parenthèses, fleurissant l'adjectif et ciselant la métaphore.
Elle était datée du 23 août, mais les lettres penchées couraient en s'inclinant sur le carton jauni avec la régularité têtue d'un crachin persistant.
 
C'était un long dimanche de solitude grise. Elle écrivait à Louise, car Louise était absente.
On entendait la pluie gratter à la fenêtre sa mélodie d'ennui. On sentait dans l'air sombre le lourd parfum des plantes aux largesses fleuries veillant sur le buffet, près de la corbeille de fruits et des vieilles photos, tandis que la télé au son baissé chantonnait sans entrain ses variétés d'après-midi. Un courant d'air frisquet tombait sur la cheminée froide, avec ses rêves de chaleur.
C'était un long dimanche de solitude, mais elle aimait écrire. Elle se penchait patiente, recopiant son brouillon. Tout à l'heure elle reprendrait son tricot. Elle arroserait les fleurs. Et demain elle mettrait la lettre à la boîte, en revenant du pain.
 
La carte n'était pas signée. Il y manquait sans doute une page, que je n'ai pas trouvée. Je ne saurai jamais le nom de celle dont un après-midi mélancolique, en rameau délicat, tomba après sa mort, comme un brin de roman, dans la boîte à poussière d'un humble bouquiniste.
Mais j'ai pensé qu'à ceux qui s'appliquent à écrire, les messages qu'ils envoient laissent après la mort un peu de vie encore.
 
Chère Louise

Publié dans Fables

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J
Les relations épistolaires m'ont toujours charmé ; elles maintiennent les corps à distance et tissent un lien de pleins et de déliés d'une profonde humanité, tellement éloigné (ce lien) de nos claviers azerti.
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M
Très émouvant, comme si le papier avait une vie et une âme éternelles
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C
Nostalgie du temps où l'on écrivait à l'anglaise...
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Q
Je suis tellement d'accord avec toi !<br /> Merci pour ces lignes offertes... <br /> Passe une douce journée.
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J
Il y a dans cette application, ces mots choisis, une forme de respect pour l’interlocuteur, et pour la vie toute entière. Je regrette tant les lettres d'autrefois ! Les courriels sont plus rapides mais tellement succincts et puis, on ne tient rien dans nos mains qui a été touché par l'expéditeur ! Une petite bouffée de mélancolie à lire ton texte et le sien ! Amitiés. Joëlle
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M
... d'une poète, bien sûr (le signe de sécurité à perturbé ma relecture)
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M
Derrière l'écriture sage et les mots choisis se devine une femme un peu fanée, un peu brisée, sans doute très seule, dont tu cisèles avec ta délicatesse habituelle un portrait au charme suranné. C'est très beau et sans doute très juste, mais je me demanderai toujours comment ces infimes morceaux de vie atterrissent un jour chez un bouquiniste, offert à tout vent à la curiosité du passant. Il y a là, me semble-t-il, quelque chose de profondément impudique, d'immensément triste, car toutes les cartes d'antan n'ont pas la chance d'attirer le regard d'une poètei qui, par la seule puissance de ses mots, saura leur offrir un supplément d'âme.
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C
Oui, on ressent la même impression chez les brocanteurs. Les successions mettent des vies à nu en les jetant à l'encan. Dans ces boutiques j'ai toujours l'impression de rencontrer des "gens" à sauver du néant - ou de l'impudeur.<br /> Sinon, je suis heureuse de te retrouver. Je m'inquiétais beaucoup pour toi.
A
Je t'ai mis un commentaire hier, j'ai recommencé trois fois, jamais il n'a voulu s'enregistrer. On va voir aujourd'hui. Mais depuis qu'ils ont collé leur capcha code plus moyen de poster un commentaire.
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C
En espérant ne pas avoir contribué à casser ton ordi !
C
Je pense que j'ai réussi à désactiver l'"antispam" qui s'était installé automatiquement. Fais-moi savoir si le problème reparaît.
A
Merci de ta réponse, Carole. Tu n'es pas la seule à l'avoir et je me disais bien aussi que cela venait de l'administration. Comme mon ordi rame parfois hier cela l'a complètement planté. Aujourd'hui apparemment cela va mieux. Mais leur système est très mal fichu car il m'est arrivé de ne pas voir la consigne (il y a un ascenseur et on reste bloqué en bas alors que la consigne est en haut) et donc de ne pas voir du tout ce qu'il y avait à faire ; de plus les images - nombreuses et donc empilées en hauteur - ne sont pas toujours bien nettes. J'ai vraiment une aversion pour overblog, mais il est vrai que j'ai encore un blog sous cette plate-forme et il faut aussi que je m'assure qu'il n'inflige pas les mêmes désagréments. Cependant il n'y a jamais aucun commentaire dessus... car je n'utilise jamais cette identité pour aller sur les autres blogs... Bonne soirée, Carole - et merci pour ta jolie carte postale de "jeune fille en fleur" vieillissante...
C
Je vais voir cela. Je n'ai pourtant pas coché l'option capcha. Merci de m'avertir. Message bien reçu.
F
Eh oui, il y avait encore des cartes postales à acheter pour partager un moment de bonheur ou de solitude, mais je remarque qu'elle se moquait de la TV!! hihi un souvenir nostalgique d'un passé presque révolu!!Bisous Fan
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A
Elle aurait pu s'appeler Renée comme ma grand-mère à qui tu redonnes vie en nous offrant cette belle et sage écriture penchée qui ne gaspillait pas un morceau de la page. <br /> Grâce à toi je la revois, une fois de plus, à la table de sa cuisine, un oeil sur sa page et l'autre sur la cocotte où mijote le lapin du dimanche ...
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R
De la beauté, de la valeur "historique", de la nette présence d'une vie privée aussi, dans ces vieilles cartes postales que l'on déniche chez les brocanteurs ... ou parfois dans le grenier familial ...,
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A
C'est vrai, on l'imagine encore un peu penchée sur sa lettre, on lui prête un visage. Petit bout de roman triste où les dimanches s'étirent à n'en plus finir... Très touchant, tous les écrits qui inondent le net maintenant n'auront certainement pas le charme de cette carte fleurie...
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J
Merci Carole... et bien appelons-là...Nancy... ;-)
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