A la peinture dorée
Ce n'étaient que des feuilles de lierre sur un mur de banlieue.
Mais un passant généreux avait jeté sur elles un peu de peinture d'or, et elles se frottaient au soleil du trottoir, luisantes comme des louis.
Je me suis souvenue de cette histoire bizarre, de pinceaux d'or et de flacon magique, que Delahaye raconte dans ses souvenirs sur Verlaine.
C'était peu de temps avant sa mort. Le poète avait emménagé avec son Eugénie dans un pauvre appartement de poète. Et pour vêtir cette ombre qui venait dans ses yeux de mourant se coucher toute grise comme un chien fatigué, il avait eu l'idée d'acheter un pot de peinture dorée. Il en avait d'abord badigeonné son cordon de sonnette, puis le garde-feu de sa cheminée, et la cage à oiseaux d'Eugénie, et les pots de fleurs d'Eugénie... enfin, la richesse lui venant en dorant, il s'en était pris aux chaises du logement - mais la peinture était fragile et s'en allait en poudre, si bien que tous ses visiteurs emportaient avec eux, mêlée aux moutons du tapis et à la suie des rues, un grain de cette poussière lumineuse à laquelle ils étaient venus se frotter.
La sonnette d'un roi sur la porte du pauvre.
Un foyer de pépites pour tous ceux qui ont froid.
Des chaises enluminées pour chaque visiteur.
Et ces feuilles à l'or fin sur les murs des cités.
Peindre le monde tout repeindre
badigeonner les ombres
à la peinture dorée
comme font les poètes
et les passants qui songent
pour que retombe en grain
de poussière ou de pain
l'or des fous l'or soleil
l'or oiseau l'or abeille
des rêves
qui sème le chemin
des hommes.